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DOCUMENS INÉDITS SUR MARIE STUART.

bornes. Marie le fit encore venir ; et, exaspérée de son sang-froid, après avoir tenté la séduction, le raisonnement, la menace, les larmes, les sanglots, et s’être évanouie à ses yeux, elle le chassa. Traversant la salle voisine, dans laquelle se trouvaient plusieurs dames élégamment parées, il s’arrêta devant elles, comme Hamlet devant Ophélie : « Ah ! belles dames, belles dames, voilà une vie charmante, si seulement elle pouvait durer, et si nous allions au ciel avec du velours et des perles ! Mais cette grande coquine, la mort, est là, qui vous saisira bon gré mal gré ; et cette belle peau si tendre et si fraîche, les vers la mangeront ; et cette petite ame faible et tremblante, comment pourra-t-elle emporter avec elle perles et or, garnitures et dentelles, broderies et fermoirs ? Il allait continuer, lorsque le laird de Dun sortit de la chambre de la reine et le mit à la porte.

Ainsi l’esprit austère du Nord continuait sa révolte brutale contre les voluptés du Midi ; tout était enflammé autour de Marie. Maladroite imitatrice de sa belle-mère Catherine, elle essaie de gagner les protestans, et les courrouce ; elle affecte de contenir les catholiques, et les décourage ; elle continue son travail de séduction impossible, et, par ses manières françaises, bals, concerts, promenades, chants, poésies, achève de s’aliéner tous les partisans du fanatisme sauvage qui hurlait autour d’elle. Les choses en étaient là, lorsque le beau Darnley lui arriva d’Angleterre, Elle était veuve depuis trois ans ; elle fut émue à l’aspect de cet adolescent plein de grace, svelte, blond, sans barbe, au teint de jeune fille[1] et d’une beauté charmante, qu’Élisabeth avait appelé « yonder long lad, » le long garçon. Ce nouvel intérêt jeté dans la vie de Marie Stuart, l’amour, va dominer tout l’espace qui la sépare de sa prison.

Chez cette femme impétueuse, la passion ne fut ni lente à se déployer, ni paresseuse à se trahir ; les nouveaux documens sont très précis quant aux douces faiblesses de Marie. En dépit des sollicitations d’Élisabeth, et sans doute par une provocation féminine, elle promet au jeune favori catholique sa main et le trône. Avant la célébration, le beau Darnley est attaqué de la petite-vérole ; Marie Stuart, sa reine, qui est déjà sa fiancée, va passer la moitié des nuits près du chevet du malade. Randolf, le sardonique et pénétrant Randolf, dont les lettres éclairent si vivement le palais et le boudoir de Marie, s’étonne et sourit de cette vigilance et de ces

  1. Melvil’s Mémoirs.