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LA LITTÉRATURE FRANÇAISE AU XVIe SIÉCLE.

duquel il est plus vrai de dire que d’aucun autre, avec Buffon : « Le style, c’est l’homme même ; » son style qu’il n’a trouvé nulle part, dont il n’a communiqué le secret à personne, qu’il invente à chaque moment pour le besoin de sa pensée, son style est aussi rapide, aussi divers, aussi ondoyant que son esprit.

Il ne reste plus qu’un grand nom à prononcer pour terminer cette revue rapide, et ce n’est pas le moins célèbre de tous. Rabelais est le fou du siècle ; son rôle est de dire mille vérités à travers mille extravagances. Je ne vois pas en lui un philosophe ayant un système arrêté sur l’éducation, sur la politique, sur la morale ; je ne chercherai pas la vérité dans la dive bouteille ; je ne m’appesantirai pas sur chaque partie du Gargantua ou du Pantagruel, pour y trouver des allusions perpétuelles, des intentions profondes, pour faire, enfin, le métier de ce que Rabelais appellerait un abstracteur de quintessence ; mais je crois qu’en se jouant, en se gaussant, Rabelais, par la pénétration naturelle de son esprit, a rencontré une foule d’idées ingénieuses, de vues originales. Ses opinions sont des saillies plutôt que des jugemens et ressemblent aux propos heureux qui échappent dans l’ivresse. Ce que l’on doit admirer surtout chez Rabelais, malgré la déplorable grossièreté, les souillures immondes qui déshonorent son livre, c’est cette gaieté intarissable et qui n’a peut-être été donnée à nul mortel au même degré, cette verve qui ne se fatigue et ne se repose jamais, et, par-dessus tout, ce style prodigieux, si riche, si souple, si abondant, si précis, cette phrase apprise à l’école des attiques et dans laquelle brille, à un si haut degré, la vivacité, la netteté, l’harmonie, apanages naturels de la prose française.

Enfin le théâtre aussi prend un essor nouveau : on écrit encore des mystères et des moralités ; mais Jodelle fonde la tragédie imitée des anciens, et Hardi la tragédie romanesque ; il a composé, dit-on, huit cent pièces. Hardi est de la famille de Lope de Vega.

Cette énumération incomplète suffit pour montrer quel spectacle varié, attachant, animé, présente la littérature française au XVIe siècle ; mais l’histoire littéraire, aussi bien que l’histoire politique, ne doit pas être seulement un spectacle, elle doit encore être un enseignement. Parmi toutes les leçons qu’on peut tirer de l’étude du mouvement littéraire au XVIe siècle, il en est une qui m’a surtout frappé et dont je crois que notre temps pourrait profiter.

Ce siècle si rempli par les produits de l’intelligence et de l’imagination, ce siècle dans lequel toutes les facultés de l’esprit humain et