Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/278

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
274
REVUE DES DEUX MONDES.

que je rencontre un homme doué d’un véritable pouvoir sur les hommes, et auquel je ne demande aucun compte de l’usage qu’il en fera. » Ce me dit-il un jour a fait mouvement ; il s’agissait de Napoléon. Les hommes qui ont causé avec Napoléon deviennent rares. M. Molé est un de ceux avec qui il a le plus causé, et de tout ; car ce que Napoléon avait peut-être encore de plus remarquable, c’était l’esprit, l’audace et la verve de l’esprit. Les Souvenirs entièrement écrits de M. Molé en rendront plus tard fidèle témoignage.

L’orateur, à un endroit, a très bien caractérisé et loué le style uni et limpide de M. de Beausset, qui réfléchit quelque chose de ce dix-septième siècle dont il parcourt l’histoire. On a comparé aussi les nombreuses et agréables citations que fait M. de Beausset des écrivains du grand siècle, à des îles verdoyantes et fraîches qui ornent le courant du récit et s’y prolongent encore par leurs ombres. On est loin de là. C’est Byron, je crois, qui a dit du style d’Hazlitt qu’il ressemblait à une irruption de petite vérole. Presque tous les styles modernes sont dans ce cas, plus ou moins gravés. La parole lisse, unie, polie, quand on la retrouve, en tire du charme.

M. Molé a parlé avec élévation et sentiment de la conduite de M. de Quélen durant le choléra, et de son sermon à Saint-Roch pour les orphelins de ce fléau : « Serait-il vrai, messieurs, qu’il y eût pour tous les hommes dont la vie mérite qu’on la raconte, un moment, une journée, où ils arrivent au plus haut qu’il leur soit donné d’atteindre, où ils sentent, au plus intime comme au plus profond de leur ame, une sainte estime d’eux-mêmes qui ne saurait être surpassée ? » S’il est en effet, au milieu des luttes et des travaux de la vie active, tel jour méritoire où l’homme se sent le plus lui-même, il est aussi, pour quelques-uns, dans l’honorable loisir qui suit le combat et dans l’arrière-saison éclairée, tel jour de retour où la vie retrouve toute sa grace. Je me figure que c’était là l’autre fois un de ces jours doux et ornés qui comptent dans une vie.


Sainte-Beuve.