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Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/28

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REVUE DES DEUX MONDES.

Elle désire, elle veut, elle obtient, elle se perd. La nièce des Guises commence par prendre le titre et les armes de sa rivale, d’Élisabeth. Arrivée en Écosse, elle blesse le génie puritain d’un peuple moitié barbare et moitié féodal. Environnée de nobles ambitieux et sans scrupule, elle choisit pour premier appui un enfant faible, incertain, corrompu et méprisable. Fatiguée de lui, elle va s’attacher bientôt, avec la même ardeur, à un sauvage couvert de sang, haï de tous, et le représentant le plus féroce de cette terrible aristocratie. Lorsque ses fautes l’auront enfin accablée, elle se jettera dans les bras de sa mortelle ennemie, de cette même femme blessée par elle ; elle finira par offrir à l’adversaire acharné de l’Angleterre, à Philippe II, roi d’Espagne, catholique, le trône de son fils, du protestant Jacques II. Les documens que nous dépouillons offrent les preuves de ces irréparables et trop nombreuses erreurs. On aurait peine à imaginer ce que déploya d’énergie, d’activité, de ressources, de finesse, de persévérance et d’esprit, dans ses dangers, cette femme extraordinaire ; sa vie est une course à travers les abîmes. Pas une calamité qu’elle n’ait provoquée, pas un péril qui ne l’ait trouvée prête à tout. Robertson admire, dans la vie de Marie Stuart, un enchaînement de circonstances que le romancier le plus habile semble avoir inventées. Si l’honnête historien, dont les jours paisibles s’écoulaient doucement sur le terrain même où Darnley fut assassiné[1], avait eu moins de savoir et plus d’expérience des passions, il aurait reconnu que le meilleur roman n’est qu’un lambeau d’étude psychologique arraché à l’histoire humaine.

Mariée à Darnley, elle redouble d’activité, chasse Murray du royaume, n’écoute plus que Riccio, et s’abandonne à la ligue catholique. Le pape lui envoie 8,000 couronnes ; le vaisseau qui porte cette somme échoue, et le duc de Northumberland s’empare de la proie. Philippe II lui fait parvenir alors 20,000 autres couronnes par son ambassadeur, Guzman de Silva ; la dépêche du roi d’Espagne a été conservée ; elle indique assez clairement l’emploi que Guzman doit en faire « pour soutenir prudemment la reine et la religion catholique[2]. » Riccio devient tout puissant à la cour. Marie Stuart avait le don fatal d’éblouir les objets de sa prédilection ; les rayons de sa faveur tombaient sur eux comme une ivresse. Riccio, étranger détesté, commence à se vêtir en seigneur ; il a des chevaux, des pages et un train

  1. Il habitait, en qualité de chef de l’université, la maison construite sur les ruines de Kirk in the field.
  2. Gonzalès, Apuntamientos, etc., pag. 382.