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Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/291

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POLITIQUE EXTÉRIEURE.

Espartero, devient de plus en plus une énigme pour ses compatriotes. Son indifférence et son inertie au milieu de l’agitation générale font naître les conjectures les plus contradictoires ; les uns croient qu’il est lié en secret avec les républicains, et qu’il n’attend que le moment pour déposer avec eux la reine Isabelle et se mettre à sa place ; les autres disent qu’il résistera à l’impulsion révolutionnaire, et que les anarchistes n’auront pas bon marché de lui, quand le jour de la lutte sera venu. Nous croyons, nous, que ces deux opinions sont également erronées, et que, fidèle au système qu’il a adopté par tempérament et qui lui a si bien réussi jusqu’ici, il attend les évènemens, non pour les conduire, mais pour se laisser conduire par eux.

Ce sera certainement une des figures les plus étranges de l’histoire, car son nom est désormais historique, que cet homme qui est parvenu si haut, comme général et comme politique, par ce qui empêche ordinairement les hommes de parvenir, le défaut absolu d’action. Pendant que d’autres se donnent tant de mal et le plus souvent pour échouer, lui se couche, s’endort et laisse faire, confiant en sa fortune, qui a toujours travaillé pour lui. Il paraît inexplicable à tous ceux qui veulent absolument lui trouver un système ; c’est qu’en effet il n’en a pas. Fataliste par orgueil et par paresse, prêt à tout par égoïsme et par ambition, il accepte tout ce qui peut l’élever et n’intervient qu’au dernier moment dans les causes gagnées, pour s’en donner l’honneur et le profit. Du reste, sans vues, sans idées, sans initiative d’aucun genre, aussi insouciant de la couronne que de la liberté, malfaisant sans parti pris, utile sans préméditation et sans mérite, il a fait successivement le bien et le mal de son pays, suivant le flot qui l’a poussé. Nul ne peut dire où il s’arrêtera, car le principe qui le guide n’est pas en lui ; mais aussi, dès que la fortune l’abandonnera, il tombera misérablement. Il n’est pas de ceux qui se perdent par un effort inopportun, mais il n’est pas non plus de ceux qui se sauvent par la puissance de leur volonté.

Dans tous les cas, s’il finit par lui arriver malheur, il ne pourra pas dire que la France se soit mêlée en rien de ses affaires. On sait avec quel emportement il a accusé la France de menacer l’indépendance de l’Espagne, quand il se laissait porter à la régence par le parti anglais. Certes, il ne peut pas en dire autant aujourd’hui. Son envoyé a été reçu par la cour des Tuileries ; les produits de l’insurrection de septembre ont été reconnus par notre gouvernement ; le ministre des affaires étrangères a déclaré plusieurs fois à la tribune que la France ne prétendait intervenir en aucune façon dans les affaires