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tendre les fanfares triomphales des Russes et des Prussiens, maîtres de Paris. Qu’a-t-il manqué à la fortune de la France au milieu de ces grands évènemens ? Un peu de temps, quelques jours de résistance à Paris, le temps d’arriver sur le flanc et les derrières de l’ennemi avec ces fortes et vaillantes garnisons qui ont dû plus tard évacuer tristement ces places qu’elles avaient si inutilement défendues ; le temps d’enlever à l’ennemi ses réserves, ses magasins, et de menacer sa retraite ; le temps de lui apprendre qu’on ne s’engage pas impunément au cœur même de la France. Paris, opposant pendant quinze jours un front d’airain à l’ennemi, aurait donné le temps de réaliser ces immenses résultats ; Paris, ville ouverte, dut remettre aux mains des alliés les clés de la France, car, encore une fois, les clés de la France sont à Paris.

Tous les discours du monde, tous les efforts de l’éloquence n’ôteront rien à la vérité et à la puissance de ces faits. Paris, ville ouverte, a été deux fois occupée. Comment nous prouverez-vous qu’en laissant par vos suffrages Paris dans son état actuel, vous ne nous exposez pas à devenir une troisième fois la proie de l’étranger ?

Dira-t-on que la défense de Paris est impossible, que les Parisiens ne résisteraient pas à l’éclat d’une bombe, à la vue d’un obus, aux ravages d’un incendie ? Je ne sais en vérité de quel droit on se permettrait de révoquer en doute le courage, le dévouement, l’élan patriotique du peuple de Paris et de la garde nationale. Les bataillons parisiens ont fait leurs preuves dans les rues de la cité et dans les champs de bataille, et lorsqu’ils affirment qu’ils défendront la patrie, son indépendance, son honneur, ses institutions, son gouvernement, en défendant vaillamment l’enceinte de la capitale, ils ont certes le droit d’être crus sur parole.

Ce serait mal juger de l’état moral de Paris assiégé en le comparant à une ville de guerre ordinaire. Loin de croire que la comparaison serait défavorable à Paris, nous sommes profondément convaincus que la population parisienne s’associerait avec enthousiasme aux efforts et aux nécessités de la défense. Il est dans la nature humaine de proportionner les sacrifices au but, l’élan à la hauteur qu’il importe d’atteindre. Ce n’est pas en vain que la Providence nous a mis dans le cœur le sentiment de la responsabilité morale, et on calomnierait les masses en croyant qu’elles n’éprouvent pas ce sentiment. Là où il paraît anéanti, c’est sur les institutions et les gouvernemens que le blâme en doit retomber. Ils ont engourdi, abruti les masses ; faut-il s’étonner de les voir demeurer spectatrices stupides et impassibles des plus grands évènemens ? Dieu merci, le peuple est éveillé chez nous ; il sait ce qu’il peut et ce que la patrie attend de lui.

Ainsi que nous le disions, il est dans la nature humaine que le sentiment de la responsabilité se proportionne par la vivacité et la persévérance de ses manifestations à la grandeur du danger et à l’importance du but. Les populations de Besançon et de Bedford ne seraient pas convaincues, comme celles de Paris, qu’une fois leur ville prise, tout est perdu pour la France. Nous