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REVUE. — CHRONIQUE.

férentes classes de citoyens, quand on a le secret des contestations qui s’élèvent journellement entre les particuliers, on mesure aisément la portée des grands débats soulevés dans les assemblées nationales, et terminés trop souvent sur la place publique. Cette considération est applicable à tous les pays, mais surtout à Rome, où la foule, avide et tracassière, aimait la procédure, non pas, comme à Athènes, pour faire preuve de subtilité et se payer de paroles sonores, mais plutôt en vue du gain, et comme un moyen de butiner en temps de paix. Il eût été d’autant plus intéressant de suivre le développement scientifique de la jurisprudence, qu’à Rome la culture du droit demeura longtemps une sorte de privilége politique, et que les patriciens, en se réservant les fonctions de procureurs, c’est-à-dire en dirigeant les pauvres dans les procès où ils se trouvaient engagés, s’attachèrent ces nombreuses clientelles qu’ils opposèrent long-temps comme contre-poids à l’élément démocratique. La noblesse, en effet, vit décheoir son influence du jour où le plébéien, au lieu de confier ses affaires au grand seigneur dont il devenait en quelque sorte le vassal, put s’adresser à un homme de loi, dont il demeurait l’égal quand il avait payé ses services argent comptant.

L’Analyse de l’histoire romaine ne rattache pas son auteur à cette école ambitieuse qui procède habituellement par hypothèses, décompose les langues, exhume les ruines, consulte les influences physiques, remue ciel et terre en un mot, pour donner au passé qu’elle prétend reconstruire un aspect original. M. Arbanère s’est contenté de lire avec intelligence et recueillement les textes classiques et pour ainsi dire officiels : il nous en a offert un résumé exact et judicieux. Nous avons remarqué particulièrement les chapitres consacrés aux mœurs et à la littérature, morceaux fort étendus, puisqu’ils représentent au moins la matière d’un volume. Il est regrettable que M. Arbanère, ordinairement calme et équitable dans ses jugemens, se soit montré d’une partialité trop grande en faveur de l’aristocratie. Sans justifier la plèbe romaine, il fallait du moins expliquer ses emportemens par les provocations de la caste patricienne, égoïste, altière et insatiable dans sa rapacité. Mais l’auteur ne peut parler des chefs du parti populaire sans perdre aussitôt toute modération. C’est l’enfer qu’ils veulent sur la terre, s’écrie-t-il ; ce sont les jouissances des démons auxquelles ils aspirent. » Marius et César excitent particulièrement son courroux. Dès qu’il les voit entrer en scène, il bondit, et fait avancer contre eux les plus belliqueuses figures de sa rhétorique ; il aiguise son style pour le rendre plus pénétrant, il gonfle sa voix jusqu’à perdre haleine ; et, sentant bientôt qu’il ne se possède plus, il sort brusquement de son sujet, comme un homme que la colère suffoque et qui éprouve le besoin de prendre l’air. Nous parlons ici littéralement et sans figures. Les imprécations contre Marius retentissent encore, que déjà l’auteur s’est reporté en imagination « à ces jours splendides où ses pas aventureux foulaient les glaciers éthérés des Pyrénées, les cimes gigantesques des Alpes » ; il se retrouve au milieu de « ces vallées ravissantes qui semblent apparaître dans leur grace et leur fraî-