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AFFAIRES DE BUÉNOS-AYRES.

et il fut admis immédiatement comme consul ; mais, avant de l’autoriser à exercer ses fonctions diplomatiques, on lui fit subir un honteux noviciat. Pourquoi ces hésitations, ces délais dans une semblable question ? Le gouvernement de Buénos-Ayres avait à s’expliquer. Aux sollicitations de notre agent, tantôt on répondait que la chambre des représentans était occupée d’affaires trop importantes pour qu’il lui restât le temps de jeter les yeux sur les lettres patentes de l’envoyé de la France, tantôt on alléguait d’autres prétextes non moins frivoles et non moins offensans. Avouons-le franchement, la dignité de la France fut compromise alors, et cette conduite dilatoire du gouvernement de Buénos-Ayres était d’autant plus humiliante pour nous, que déjà et depuis long-temps les Anglais jouissaient des franchises et des garanties d’un traité de commerce fort libéral. Mais la faute était commise, et M. de Vins, qui voulait à tout prix justifier aux yeux de son gouvernement la légèreté de sa première démarche, en dévorait en silence les fruits amers. Pendant près d’une année, il dut caresser tous les caprices du gouverneur-général Rosas. Ce temps d’épreuve achevé, on voulut bien l’admettre enfin comme chargé d’affaires de France auprès de la République Argentine, avec la clause expresse toutefois que cela ne tirerait pas à conséquence pour l’avenir. Le gouvernement français blâma vivement, nous devons le dire, son agent de s’être soumis à cette indigne condition ; mais le gouverneur Rosas et ses ministres étaient satisfaits dans leur orgueil : pouvaient-ils espérer un représentant de la France plus souple, plus accommodant, plus docile ? Aussi le traitèrent-ils depuis avec toutes les démonstrations d’une bienveillance extrême ; et à la mort de M. de Vins, qui suivit bientôt sa reconnaissance comme chargé d’affaires, ils lui firent de magnifiques funérailles ; le ministre des relations extérieures prononça son oraison funèbre et pleura sur sa tombe ; aujourd’hui encore ils ne parlent de M. de Vins qu’avec un vif sentiment de regret.

Un simple élève consul, M. Roger, attaché à la mission de M. de Vins, se trouva dès-lors chargé par intérim des fonctions consulaires. Peut-être le général Rosas n’était-il pas fâché de voir ce poste occupé par un jeune homme qui, distrait par les plaisirs et retenu d’ailleurs par l’infériorité de son rang, ne pourrait ou n’oserait s’élever contre les actes arbitraires du gouvernement auprès duquel il était accidentellement appelé à résider. Rosas traita avec une apparente confiance notre jeune vice-consul, l’admit dans son intimité ; et celui-ci, charmé d’être l’objet des caresses du gouverneur, se montra obséquieux à son tour et plein de déférence. Cependant le général argentin laissa percer bientôt le peu de considération qu’il avait pour notre agent. Le jeune vice-consul, ardent, de mœurs faciles, d’intelligence prompte, saisissant bien les rapports des choses, mais dédaignant trop peut-être l’influence des considérations personnelles dans les relations politiques, se sentit vivement blessé ; il ne sut point retenir les éclats de son mécontentement. À un enthousiasme irréfléchi succéda la haine ; une lutte d’homme à homme, bien inégale du côté de notre agent, s’engagea. L’amour-propre blessé se retrancha derrière les