Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/344

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
340
REVUE DES DEUX MONDES.

fanterie ; mais la mitraille et les feux de file des bataillons firent cabrer les chevaux et reculer les escadrons : la victoire s’arrêta là.

On publia ce succès comme un grand triomphe ; notre flottille du Parana tira des coups de canon d’allégresse. Néanmoins la question restait toujours indécise. Echague conservait toutes ses forces. Il compléta son armée, et vint s’établir à douze lieues de la Bajada, au lieu que nous avons nommé le Grand Saule (el Sauce Grande). Lavalle escarmouchait autour de lui. Pendant des mois entiers, les deux armées restèrent ainsi en présence sans se faire aucun mal. L’ennemi était fort surtout en artillerie et en infanterie ; l’instinct et la nécessité lui avaient révélé que c’étaient là ses vrais élémens de résistance ; le souvenir sanglant de Cagancha lui restait en mémoire ; toute sa cavalerie s’y était brisée contre les lignes de Rivera. D’ailleurs, comment nourrir de nombreux chevaux dans un camp nécessairement fort limité ?

Cependant le général Lavalle se consumait en efforts superflus. Il désespérait de voir arriver aucun secours de Rivera, et il avait, au mois de juillet, la plus belle armée qu’il pût réunir : c’étaient toutes les forces de Corrientes, troupes mobiles et réserve ; il comptait près de trois mille cavaliers, et en tout trois mille cinq cents hommes environ sous ses ordres. Déjà les pâturages étaient sur le point de lui manquer ; il se trouvait dans la nécessité de brusquer le dénouement et de tenter la fortune d’un combat. À quelques lieues de lui, près de Punta-Gorda, toute la flottille française réunie lui offrait une retraite sûre : pouvait-il espérer des chances plus favorables ? Le 15 juillet, il résolut d’attaquer.

Deux ravins profonds et bourbeux, comme deux grandes lignes parallèles, protégeaient le front et les derrières d’Echague ; ses flancs étaient abrités par des fossés et des trous formés naturellement par les eaux dans un sol marécageux et couvert d’herbes épaisses. Lavalle ignorait l’existence du second ravin : tandis qu’il attaquait de front avec son infanterie, il lança sur les derrières de l’ennemi un corps de cavalerie qui se débanda bientôt au milieu des obstacles imprévus qu’il rencontra ; un second corps de cavalerie, jeté sur la droite, s’embourba dans les fosses couvertes qui protégeaient le flanc droit d’Echague ; un seul corps de cavalerie, qui pénétra par la gauche du camp, enfonça la cavalerie ennemie, mais il fut obligé de rebrousser chemin devant l’infanterie, qu’il ne put entamer, et sous le feu d’une artillerie assez bien servie, qu’un simple changement de front démasqua. Toute l’armée libératrice, en désordre, s’enfuit vers nos navires, sans qu’Echague la poursuivît dans sa retraite. Ce ne fut que cinq jours après que l’ennemi se présenta au rivage de Punta-Gorda pour inquiéter l’embarquement des soldats de Lavalle : nous les transportâmes d’abord avec tous leurs bagages, cinq cents bœufs et douze cents chevaux, sur une île du fleuve qui fait face au point d’embarquement. Le feu d’une batterie que l’ennemi réussit à établir, gêna un peu nos marins.

Lavalle tombait à bord de nos navires tout étourdi de sa défaite. Les troupeaux qui suivaient son armée furent bientôt consommés. Que résoudre ? Remonter le fleuve jusqu’à Corrientes était une chose impraticable ; la flottille