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AFFAIRES DE BUÉNOS-AYRES.

est désolante. Non, la France ne pouvait point adopter cette cause. Disons-le sans détour, on avait marché d’erreur en erreur, il était temps de s’arrêter. Nous prions qu’on nous dispense de toute autre réflexion ; nos paroles peut-être blesseraient le malheur.

Cependant le mois d’août s’écoula tout entier, puis passèrent les premiers jours de septembre ; l’amiral Baudin ne vint pas, et la nouvelle de son remplacement retentit dans la Plata, où elle éveilla de douloureux échos. Le général Lavalle n’attaqua point son ennemi, et un beau jour on apprit qu’il avait disparu de la campagne de Buénos-Ayres sans qu’on sût ce qu’il était devenu. On répéta bien vaguement qu’il avait pris sa course vers le nord ; mais on ne s’en occupa plus : le général Lavalle n’était plus rien pour la France.

L’inexplicable retraite de l’armée libératrice fut le signal de réactions déplorables. Jusqu’alors les biens des émigrés argentins étaient restés sous la protection de la loi ; on avait bien pu déplorer quelques pillages, des exactions sur les proscrits, mais au moins les anciens maîtres demeuraient-ils toujours propriétaires en titre. Au moment où l’armée libératrice quitta la province, il y eut à Buénos-Ayres, parmi le peuple et les plus chauds partisans de Rosas, une explosion de murmures et de vociférations contre les rebelles, qui, disait-on, avaient passé sur la plaine comme une nuée de sauterelles, pillant, dévastant les terres des fidèles patriotes, et les soumettant eux-mêmes à des tortures. On demandait une expiation. Le gouvernement lança un décret par lequel il rendait les biens des exilés responsables des pertes supportées par les citoyens pendant l’invasion du général Lavalle. C’était tout simplement un décret de confiscation contre les proscrits. Là ne s’arrêtèrent pas les vengeances. Un club s’est organisé depuis quelque temps dans la ville de Buénos-Ayres, réunion d’ardens patriotes dont la devise est : Vive Rosas ! meurent les sauvages unitaires ! Fédération ou la mort ! Le club des jacobins, en 1793, ne fut pas plus redoutable à l’ancienne noblesse de France. Composé d’un ramassis de gens sans aveu, la plupart souillés de crimes, de la lie du peuple enfin, il se soutient par la terreur qu’il inspire. Il prend aujourd’hui le nom de Société populaire ; mais d’abord il s’était nommé Société de la Mazorca, (épi de maïs), symbole de l’union, les associés prétendant être unis entre eux comme le sont les grains de maïs sur la plante. Ce nom, par un jeu d’esprit, a été transformé par les proscrits argentins en celui de Mas-Horca (Outre-potence)  ; jamais, à Montevideo, les membres de cette redoutable société ne sont désignés par une autre qualification que celle de Mas-horqueros (outre-potenciers). Les crimes nocturnes qui ont désolé Buénos-Ayres, et plongé la ville dans une sorte de stupide frayeur, émanaient de ce club. Le comité-directeur résout, une bande de bourreaux exécute. C’est contre le parti unitaire et pour son extinction que s’est formée cette monstrueuse association. Ses commencemens ont été protégés d’abord par le gouvernement Rosas, car elle se présentait comme son défenseur le plus dévoué ; aujourd’hui elle le déborde, ses sicaires lui font peur, ainsi qu’il arrive toujours quand on déchaîne les fureurs