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UN HIVER AU MIDI DE L’EUROPE.

grossiers et si méprisables dans l’œuvre de la destruction, m’apparurent plus beaux et plus nobles que tous les anges du ciel, de même que cette ruine, qui est pour toi un objet de tristesse et de consternation, est pour moi un monument plus religieux qu’il ne le fut jamais avant sa chute. Si j’étais chargé d’ériger un autel destiné à transmettre aux âges futurs un témoignage de la grandeur et de la puissance du nôtre, je n’en voudrais pas d’autre que cette montagne de débris, au faîte de laquelle j’écrirais ceci sur la pierre consacrée :

« Au temps de l’ignorance et de la cruauté, les hommes adorèrent sur cet autel le dieu des vengeances et des supplices. Au jour de la justice, et au nom de l’humanité, les hommes ont renversé ces autels sanguinaires, abominables au Dieu de miséricorde. »


Ce n’est pas à Palma, mais à Barcelone, dans les ruines de la maison de l’inquisition, que j’ai vu ces cachots creusés dans des massifs de quatorze pieds d’épaisseur. Il est fort possible qu’il n’y eût point de prisonniers dans ceux de Palma lorsque le peuple y pénétra. Il est bon de demander grace à la susceptibilité majorquine pour la licence poétique que j’ai prise dans le fragment qu’on vient de lire. Cependant je dois dire que, comme on n’invente rien qui n’ait un certain fonds de vérité, j’ai vu, à Majorque, un prêtre, aujourd’hui curé d’une paroisse de Palma, qui m’a dit avoir passé sept ans de sa vie, el flor de su joventud, dans les prisons de l’inquisition, et n’en être sorti que par la protection d’une dame qui lui portait un vif intérêt. C’était un homme dans la force de l’âge, avec des yeux fort vifs et des manières enjouées. Il ne paraissait pas regretter beaucoup le régime du saint-office. À propos de ce couvent des dominicains, je citerai un passage de Grasset de Saint-Sauveur, qu’on ne peut accuser de partialité, car il fait, au préalable, un pompeux éloge des inquisiteurs avec lesquels il a été en relation à Majorque :

« On voit cependant encore, dans le cloître de Saint-Dominique, des peintures qui rappellent la barbarie exercée autrefois sur les Juifs. Chacun des malheureux qui ont été brûlés est représenté dans un tableau au bas duquel sont écrits son nom, son âge, et l’époque où il fut victime. On m’a assuré qu’il y a peu d’années les descendans de ces infortunés, formant aujourd’hui une classe particulière parmi les habitans de Palma, sous la ridicule dénomination de chouettes, avaient en vain offert des sommes assez fortes pour obtenir qu’on