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Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/562

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REVUE DES DEUX MONDES.

fait, comme Théodore, un plus grand effort d’imagination, et ont proclamé une trinité de trinités, une ennéade. Le nombre trois est apparemment tout aussi sacré à la seconde puissance qu’à la première. On ne sait trop dans tout cela qui a raison ou qui a tort ; leurs raisons se valent à peu près, et elles sont assez ingénieuses. Quoiqu’il coûte un peu de le dire, à cause de la bizarrerie des conséquences, chacun peut se convaincre, en lisant Plotin, Porphyre ou Proclus, que les raisons de M. Lamennais sont de la même famille que les leurs, et qu’il n’y a que le degré de subtilité qui diffère. Il y a moins de ressemblance entre les trinités que l’on veut aussi trouver dans le monde physique. M. Lamennais distingue le feu de la lumière ; Oken fait du feu une trinité, composée de la pesanteur, de la lumière et de la chaleur ; Hermann Fichte, au contraire, oppose la lumière à la pesanteur dans la nature, comme la liberté est opposée à la nécessité dans la conscience. Qu’en pense M. Arago ?

Quand on expose ainsi une doctrine dans toute sa nudité, en la dépouillant du style dont l’auteur l’a revêtue, on commet souvent une injustice, mais une injustice nécessaire. Réduire un système à sa plus simple expression, pour le juger en lui-même, abstraction faite d’ornemens étrangers ou de parties accessoires qui l’embellissent sans changer sa nature, cela n’est que juste et indispensable, qui ne le voit ? Mais l’auteur, en même temps, croit avoir le droit de se plaindre ; car ce squelette qu’on lui présente, ce n’est pas là ce qui l’avait séduit et entraîné. Il a conçu sa doctrine sous le même aspect brillant qu’il a su lui donner dans son livre. Tous ces riches ornemens, qui nous cachent la vérité, la lui ont cachée à lui-même ; et dans ce qui reste pour le jugement, quand on a banni l’imagination, il ne se reconnaît plus.

Le système de M. Lamennais ne repose pas seulement sur le dogme de la trinité, mais sur celui de la création. La trinité est le principe, et l’acte de la création l’intermédiaire. Ce n’est pas que M. Lamennais se flatte d’exprimer en langage humain cet acte évidemment inintelligible à l’homme que nous nous efforçons d’indiquer par le mot créer. Sa philosophie, sous ce rapport, est pleine d’une sage réserve à laquelle on ne peut qu’applaudir. Mais si l’acte simple nous échappe dans son essence même, si le comment de la création nous est à jamais inconnu, nous pouvons, selon lui, en connaître le mode, les conditions et les résultats immédiats et nécessaires. M. Lamennais est condamné, pour ainsi dire, à être très dogmatique sur ce point, puisqu’il doit conclure de ce qu’il y a en Dieu unité et triplicité,