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beaux-arts est de partir de si haut et de faire oublier l’image à force de la rapprocher du modèle. L’image, la matière, ce qui ne parle qu’aux yeux ou à l’oreille, ce n’est rien. Tournés vers un unique but, appuyés sur les mêmes principes et gouvernés par les mêmes lois, les arts n’ont aussi qu’une histoire qui leur est commune. Ils vivent par l’idée, par la foi. Y a-t-il de l’enthousiasme sans la foi ? Y a-t-il de l’art sans enthousiasme ? Quand les croyances s’en vont, les arts périssent avec elles. À peine en reste-t-il quelque forme vaine, jeux puérils qui amusent l’esprit et ne l’éclairent pas, qui nous amollissent le cœur au lieu de l’enflammer pour tout ce qui est grand, noble et saint. L’artiste, oubliant Dieu, ne sait plus que reproduire et adorer ses propres passions, et il ravale à cette idolâtrie de soi-même l’art et la poésie, ces divines ailes que Dieu nous avait données pour remonter jusqu’à lui.

Pour qui se rappelle l’Essai sur l’indifférence, il est aisé de prévoir la conclusion de cette poétique. Ce siècle impie, qui renie toutes les religions et les méprise au point de ne plus même les attaquer, privé de toute croyance, est aussi, il le faut bien, sans art et sans poésie. C’est un de ces momens solennels, pleins d’angoisses et de terreurs, où les ressources de l’esprit humain semblent épuisées ; mais l’humanité, qui marche sans cesse au progrès, est alors sourdement travaillée par l’enfantement de l’avenir. Faudra-t-il subir cet arrêt, et condamner à ce néant ces poètes, ces artistes, que nous tous, hélas ! nous avons appris à révérer, et à qui, dans notre confiance, nous aurions prédit tant de gloire ? Est-il vrai que le nom de Châteaubriand survivra seul à ce désastre, et que sa poésie, suivant les paroles de M. Lamennais, « prêtresse d’une religion qu’on ne saurait nommer, s’avance à travers les ruines, portant en ses mains les symboles voilés d’un Dieu inconnu. » Peut-être n’est-ce pas ainsi que l’auteur du Génie du Christianisme aimerait à être loué ; mais à coup sûr il ne partage pas ce mépris pour le siècle qui l’a compris, qui l’a admiré. Il connaît plus d’un nom de poète, d’écrivain, de philosophe digne d’être cité à côté du sien, et il en est un surtout que M. Lamennais a seul le droit d’oublier.

On voit que nos objections (car nous n’avons voulu dans tout ce qui précède que proposer des objections à un maître) portent sans restrictions sur toutes les parties du système de M. Lamennais. Ce système pèche par la base, puisque le criterium de certitude qu’il propose est contradictoire et impossible ; il pèche par sa méthode, puisqu’il part de la connaissance de Dieu pour en déduire la nature