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SOUVENIR.


Comment vivez-vous donc, étranges créatures !
Vous riez, vous chantez, vous marchez à grands pas ;
Le ciel et sa beauté, le monde et ses souillures
Ne vous dérangent pas.

Mais lorsque, par hasard, le destin vous ramène
Vers quelque monument d’un amour oublié,
Ce caillou vous arrête, et cela vous fait peine
Qu’il vous heurte le pié.

Et vous criez alors que la vie est un songe,
Vous vous tordez les bras comme en vous réveillant,
Et vous trouvez fâcheux qu’un si joyeux mensonge
Ne dure qu’un instant.

Malheureux ! cet instant où votre ame engourdie
A secoué les fers qu’elle traîne ici-bas,
Ce fugitif instant fut toute votre vie ;
Ne le regrettez pas !

Regrettez la torpeur qui vous cloue à la terre,
Vos agitations dans la fange et le sang,
Vos nuits sans espérance et vos jours sans lumière,
C’est là qu’est le néant !

Mais que nous revient-il de vos froides doctrines ?
Que demandent au ciel ces regrets inconstans
Que vous allez semant sur vos propres ruines
À chaque pas du Temps ?

Oui, sans doute, tout meurt ; ce monde est un grand rêve,
Et le peu de bonheur qui nous vient en chemin,
Nous n’avons pas plus tôt ce roseau dans la main
Que le vent nous l’enlève.

Oui, les premiers baisers, oui, les premiers sermens
Que deux êtres mortels échangèrent sur terre,
Ce fut au pied d’un arbre effeuillé par les vents
Sur un roc en poussière.