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REVUE LITTÉRAIRE.

ment qui n’est plus de notre temps. M. Quérard n’a pas attendu que son immense répertoire bibliographique fut terminé pour en produire le complément indispensable. La France littéraire s’arrête aux dernières années de la restauration. Une continuation qui paraît sous le titre de la Littérature française contemporaine est une classification par noms d’auteurs de tous les écrits publiés depuis 1827 jusqu’aux derniers jours[1]. Il n’y a plus à en douter, M. Quérard a pour la bibliographie, tout ingrate qu’elle est, un fonds de passion inépuisable. Après le laborieux enfantement de dix énormes volumes, il trouve pour un nouvel ouvrage une patience plus ingénieuse, des soins plus caressans encore que par le passé. Peut-être même que, dans son désir de ne rien omettre, il a mentionné des écrits par trop insignifians : en multipliant les notices et les jugemens, il a oublié, selon nous, que sa tâche est, non pas de faire une histoire littéraire, mais d’en préparer simplement les matériaux. Au reste, le reproche d’être trop complet est un de ceux que les bibliographes acceptent facilement, et il ne nuira pas au succès de la Littérature contemporaine, qui deviendra le manuel de la librairie, de même que la France littéraire est devenue le guide des hommes studieux.

Ne l’oublions pas, l’arbre du savoir dont nous contemplons orgueilleusement les ramifications, tient pourtant à la terre par des racines humblement cachées : la spéculation commerciale, dès qu’elle est en souffrance, cesse de fournir la sève qui doit nourrir la cime et conduire à parfaite maturité les fruits de l’intelligence. Les progrès, la dignité de notre littérature, et en même temps l’influence de l’esprit français tiennent par tant d’attaches aux opérations matérielles de la librairie, que nous ne nous lasserons pas de réclamer les mesures favorables aux diverses industries qui vivent par la presse. Un projet de loi sur la propriété littéraire, adopté depuis deux ans par la chambre des pairs, est soumis présentement à la chambre des députés. Aux termes de ce projet, le droit exclusif de publier leurs ouvrages serait garanti aux auteurs, écrivains, musiciens ou dessinateurs pendant leur vie, et à leurs héritiers ou représentans pendant trente années à partir du jour de leur décès. La majorité des gens de lettres et des libraires trouvent, assure-t-on, la proposition du gouvernement peu libérale. Les uns demandent que le terme de la jouissance posthume soit étendu à cinquante ans, d’autres, que le droit des auteurs soit illimité et perpétuellement transmissible. Les écrivains et les libraires oublient qu’ils ne sont pas seuls en cause, et qu’il faut aussi prendre en considération les intérêts de l’imprimerie, de la papeterie et des industries accessoires, qui gagnent à la concurrence dont les livres sont l’objet dès qu’ils tombent dans le domaine public. Il nous semble, au surplus, qu’à une époque où on voit tant d’auteurs survivre à leurs œuvres, les cinq premiers titres du projet n’ont pas toute l’importance qu’on leur attribue : au lieu de bâtir

  1. Elle doit former 3 ou 4 gros volumes in-8o. Chez Daguin frères, quai Malaquais, 7.