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aux déréglemens de l’état sauvage. La polygamie, le fétichisme, l’anthropophagie, y régnaient sans partage, et la condition des naturels approchait beaucoup de celle de la brute. Quelques prêtres des missions de Paris ont changé tout cela. Déposés sur ces îles, ils se virent, pendant six mois, chaque jour à la veille d’être tués ou dévorés. La foi les soutint ; ils attendirent. Quelques procédés industriels enseignés à propos, quelques médicamens distribués avec intelligence, leurs soins pour les malades, leur bonté envers les vieillards, leur tendre affection pour les enfans, adoucirent ces cœurs farouches et domptèrent ces natures rebelles. Un petit nombre d’indigènes se laissa d’abord baptiser, puis d’autres suivirent, enfin les chefs eux-mêmes abjurèrent leurs croyances, et mirent de leurs mains le feu aux idoles. Ce fut le signal d’une conversion générale. Aujourd’hui la population des îles Gambier est entièrement catholique.

Quand l’Astrolabe et la Zélée se trouvèrent en vue de ces terres, une embarcation se détacha du rivage et se dirigea vers les corvettes ; trois Français et plusieurs insulaires la montaient. On les admit sur le pont ; les Français étaient des matelots attachés au service de la mission. Quant aux indigènes, ils n’avaient rien de cette curiosité enfantine, de cette cupidité instinctive, qui caractérisent ces tribus ; on voyait qu’une discipline religieuse s’était emparée de leurs esprits et commandait à leurs penchans. Ils ne touchaient à rien sans en demander la permission, et répondaient avec intelligence aux questions qu’on leur adressait. Un officier voulut mouler la figure de l’un d’eux, qui se prêta fort patiemment à cette opération délicate, et se montra enchanté des bagatelles qu’on lui donna en retour. Le teint de ces hommes était fortement cuivré ; leurs traits, sans être réguliers, n’avaient rien de repoussant ; leurs membres, bien conformés, accusaient de la vigueur. Ce groupe de Gambier, le plus important théâtre de la propagande catholique dans l’Océanie, se compose de cinq ou six îles peu distantes les unes des autres, et dont la plus considérable, Mangareva, est couronnée par un pic, le mont Duff, qui s’élève à une hauteur de douze cents pieds au-dessus du niveau de la mer. Le meilleur mouillage est à Kamaran, entre Mangareva et Karavaï, et ce fut là que les deux corvettes jetèrent l’ancre, le 4 août 1838.

Le principal chef des îles Gambier était alors Mapou-Taona ; mais son influence paraissait subordonnée à celle de son oncle Matoua, ancien grand-prêtre des idoles, aujourd’hui catholique fervent. L’un et l’autre obéissaient d’ailleurs aux quatre membres de la mission, MM. Caret,