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est heureux dans la déclamation. Le César et le Napoléon, pas plus que le Tacite et le Shakspeare, n’ont aimé le vide et les masques. Il y a des temps cependant où le vide et les masques plaisent à tous : les sociétés très pleines de mépris pour elles-mêmes se gardent de les rejeter. C’est qu’alors le mensonge devient nécessaire. Mais toute nation qui vit dans le faux est une nation perdue ; toute littérature équivoque est un amas de papier stérile ; tout grand homme charlatan est destiné à perdre son habit de théâtre tôt ou tard, même en France, où l’habit de théâtre a tant de succès. Si vous lisiez l’histoire comme elle mérite d’être lue, vous reconnaîtriez qu’il n’y a de grands hommes que ceux qui déchirent résolument les enveloppes des apparences, de grands génies dans les lettres que ceux qui aiment la vérité, de grands peuples que ceux qui osent se la dire à eux-mêmes.

Si, dans sa lutte contre la monarchie et Strafford, Pym a été sans pitié, sans scrupule, sans remords, toujours violent, toujours rusé, toujours inexorable, ce n’est pas là ce qui l’isole, sans le justifier, parmi ses compagnons de guerre ; c’est la haine profonde du mensonge, c’est la franchise de l’attaque ; c’est l’amour de la vérité, même dans le crime. Comme Danton, il s’attacha au but positif, au succès, et laissa d’autres esprits adorer la chimère de l’époque.

Ces deux révolutions, qui ont déplacé le pouvoir en Angleterre comme en France, avaient l’une et l’autre un but idéal et un but réel. L’idéal, pour les révolutionnaires d’Angleterre, c’était l’institution hébraïque, la liberté sous le règne de Dieu, l’impossible ; — pour les révolutionnaires de France, c’était l’impossible aussi, la démocratie grecque. Pym et Danton se distinguent sous ce rapport, qu’ils n’embrassèrent pas la chimère, et ne s’en servirent que pour atteindre le résultat réel, le but possible. Ils firent descendre en effet, par des efforts extraordinaires, mêlés de grands crimes, le pouvoir, l’un dans le parlement, l’autre dans les masses, et se reposèrent, celui-ci dans le lit de mort, cet autre sur l’échafaud.


Philarète Chasles.