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philosophique qui les jugera l’une et l’autre dans une inaction superbe, et qui dira avec une résignation dédaigneuse : « Que voulez-vous ? La démocratie n’a pas de milieu, elle est ou révolutionnaire ou subalterne. Il faut accepter le monde comme il est. » Cette politique ne prend du monde que le spectacle et non le gouvernement.

L’expérience, plus lassée qu’éclairée par les évènemens, conduit à une politique stationnaire ; la philosophie critique l’érige en système. L’esprit de conservation, devenu toute la raison d’état, aboutit au même point. C’est la politique à laquelle reviendra toujours par son propre poids l’ancienne majorité, quand le pouvoir ne saura pas introduire dans son sein des élémens nouveaux, et la modifier par des alliances qui l’animent et l’enhardissent. À côté des intérêts, des principes, des scrupules, qui dirigent légitimement un parti conservateur, les préjugés envieux, les ressentimens implacables se feront place, et sauront encore tout rapetisser, tout, même le pouvoir qui deviendra, non le guide, mais le serviteur de son parti. Le cœur humain porte partout ses tristes faiblesses. Les partis conservateurs ont leurs passions, ainsi que tous les partis ; mais, comme les sectes orthodoxes, ils ont le tort de s’en croire exempts.

Pour nous, nous voudrions avoir décrit exactement, dans ses causes et dans ses conséquences, un fait grave : c’est que la force du gouvernement actuel est méconnue, et que le sentiment de ses dangers et de sa faiblesse domine dans la politique exclusivement conservatrice. Les causes principales sont l’origine révolutionnaire de notre gouvernement, les souvenirs des excès d’une autre époque, les menaces odieuses et les attentats insensés des factions, la tendance naturelle aux esprits familiarisés avec la gestion des intérêts privés à préférer à tout la sécurité immédiate et la tranquillité matérielle, l’aspect inquiétant des agitations journalières d’un état libre, les ressentimens créés par nos luttes parlementaires, le faible du temps pour le scepticisme, la mobilité d’idées engendrée par celle des évènemens, le passé mal compris, l’expérience mal consultée : toutes ces causes ont imprimé à la politique conservatrice les caractères exclusifs d’une politique de résistance. La résistance n’est en théorie qu’une idée négative. Dans la pratique, elle n’est nécessaire qu’à l’ordre, et l’ordre qui en temps orageux peut être le but, n’est plus en temps régulier qu’un moyen de gouvernement.

La confiance dans la force du gouvernement actuel doit avoir naturellement d’autres conséquences que le sentiment exagéré de sa faiblesse et de ses dangers. Cette confiance doit conduire ceux qui