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dès son avènement, le 29 octobre rencontra une bonne fortune ; les bonnes fortunes sont rares aujourd’hui pour les gouvernans. Le pacha d’Égypte succombait sans gloire ; son armée, qu’on avait dite si redoutable, n’était plus en état de contenir quelques rebelles ni d’affronter une poignée de Turcs et d’Anglais. Bref, la puissance du pacha était une illusion, et s’il eût été injuste de reprocher au 1er mars une erreur commune en France, et que tous les ministères avaient partagée, il y aurait eu, il faut le dire, plus d’injustice encore à imputer la chute du pacha au 29 octobre, qui l’apprenait avec le public en arrivant aux affaires. Dès-lors, le 29 octobre pouvait, jusqu’à un certain point, se mettre à l’aise ; il pouvait faire entendre un langage pacifique sans trop blesser les susceptibilités nationales. À nouveaux faits nouveaux conseils. Le pacha est impuissant ; la Syrie est perdue : que faire ? Évidemment, la France ne peut commencer une guerre générale pour faire rendre à Méhémet-Ali une province qu’il n’a pas même essayé de défendre. Le ministère pouvait dire ce que M. Thiers à déclaré avant-hier à la tribune : « L’objet du litige avait disparu ; faire la guerre pour le pacha tombé au pouvoir des Anglais, eût été ridicule. »

C’est sur ce terrain, que la fortune lui offrait et dont il s’emparait fort habilement, que le cabinet du 29 octobre se présentait aux chambres et au pays. L’adresse fut discutée. Nous ne voulons pas revenir sur ces longs, brillans, et quelquefois pénibles débats. Si le discours de la couronne ne fut pas accepté mot pour mot par les deux chambres, si l’expression en parut terne et vague, toujours est-il que la majorité accepta le système intermédiaire du 29 octobre, ce qu’on a appelé la paix armée, ce qu’on eût pu appeler l’isolement armé, mais pacifique.

Ce premier succès, dû plus encore aux souvenirs des dangers dont la majorité croyait nous voir délivrés qu’à ses sympathies pour le cabinet, ne suffisait pas pour lui donner une assiette forte, une base durable. Composé de fragmens de la coalition, du 15 avril et du 12 mai, le ministère en corps ne pouvait approcher d’aucune fraction de la majorité sans rencontrer quelque répulsion : partout il trouvait sympathie ou répugnance pour l’un ou l’autre de ses membres, et les répugnances sont de nos jours plus profondes, plus ardentes, plus actives que les sympathies. Au milieu de ces difficultés, le cabinet avait droit de compter sur son incontestable habileté et sur la puissance du talent ; il pouvait aussi compter sur le désir qu’on avait de voir enfin une administration de quelque durée, d’éviter une nouvelle crise ministérielle, désir assez général parmi les hommes qui n’aspirent pas au ministère. Il est vrai que le nombre des aspirans est redoutable. À l’intérieur, une administration forte, prompte, régulière, une répression efficace sans acharnement ni violence, des travaux suivis, consciencieux, pour réaliser des améliorations mille fois réclamées ; à l’extérieur, une politique expectante, d’observation plutôt que d’action, sans empressement ni rancune, toujours appuyée sur le bon droit et sur un état militaire respectable ; dans les chambres, une discussion habile et sérieuse,