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Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/812

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REVUE DES DEUX MONDES.

tion ; il a sa tâche qu’il doit accomplir. Qu’importe qu’elle soit rude ? n’est-ce point à l’amour qu’elle est proposée[1] ? »

Cette courte page, si pleine d’images, d’aspirations, d’idées et de réflexions profondes, jetée comme par hasard au milieu du récit des explications de M. Lamennais avec le saint-siége, m’a toujours frappé, et je suis certain qu’un jour elle fournira à quelque grand peintre le sujet d’un tableau. D’un côté, les camaldules en prières, moines obscurs, paisibles, à jamais inutiles, à jamais impuissans, spectres affaissés, dernières manifestations d’un culte près de rentrer dans la nuit du passé, agenouillés sur la pierre du tombeau, froids et mornes comme elle ; de l’autre, l’homme de l’avenir, le dernier prêtre, animé de la dernière étincelle du génie de l’église, méditant sur le sort de ces moines, les regardant en artiste, les jugeant en philosophe. Ici, les lévites de la mort immobiles sous leurs suaires ; là, l’apôtre de la vie, voyageur infatigable dans les champs infinis de la pensée, donnant déjà un dernier adieu sympathique à la poésie du cloître, et secouant de ses pieds la poussière de la ville des papes, pour s’élancer dans la voie sainte de la liberté morale.

Je n’ai point recueilli d’autres faits historiques sur ma Chartreuse que celui de la prédication de saint Vincent Ferrier à Valldemosa, et c’est encore à M. Tastu que j’en dois la relation exacte. Cette prédication fut l’évènement important de Majorque en 1413, et il n’est pas sans intérêt d’apprendre avec quelle ardeur on désirait un missionnaire dans ce temps-là, et avec quelle solennité on le recevait.

« Dès l’année 1409, les Mallorquins, réunis en une grande assemblée, décidèrent qu’on écrirait à maître Vincent Ferrer, ou Ferrier, pour l’engager à venir prêcher à Mallorca. Ce fut don Louis de Prades, évêque de Mallorca, camerlingue du pape Benoît XIII (l’anti-pape Pierre de Luna), qui écrivit, en 1412, aux jurats de Valence une lettre pour implorer l’assistance apostolique de maître Vincent, et qui, l’année suivante, l’attendit à Barcelone et s’embarqua avec lui pour Palma. Dès le lendemain de son arrivée, le saint missionnaire commença ses prédications, et ordonna des processions de nuit. La plus grande sécheresse régnait dans l’île ; mais, au troisième sermon de maître Vincent, la pluie tomba. Ces détails furent ainsi mandés au roi Ferdinand par son procureur-royal don Pedro de Casaldaguila :

« Très haut, très excellent prince et victorieux seigneur, j’ai l’honneur de vous annoncer que maître Vincent est arrivé dans cette cité

  1. Affaires de Rome.