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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

crayon. Mais c’est comme écrivain, comme romancier, que nous l’a livré M. de Maistre ; aux éditeurs friands qui lui demandaient encore un Lépreux ou quelque Prisonnier du Caucase, il répondait : Prenez du Töpffer. En voici donc aujourd’hui, et par échantillons de choix. Nous espérons qu’il réussira, même auprès de nos lecteurs blasés des romans du jour, ne fût-ce que comme une échappée d’une quinzaine à Chamouny.

Pour nous, à mesure que nous lisions les pages les plus heureuses de l’auteur genevois, il nous semblait retrouver, au sortir d’une vie étouffée, quelque chose de l’air vif et frais des montagnes ; une douce et saine saveur nous revenait au goût, en jouissant des fruits d’un talent naturel que n’ont atteint ni l’industrie ni la vanité. Nous nous disions que c’était un exemple à opposer véritablement à nos œuvres d’ici, si raffinées et si infectées. Mais prenons garde ! ne le disons pas trop. Publier et introduire en une littérature corrompue ces Nouvelles genevoises, de l’air dont Tacite a donné ses Mores Germanorum, ce serait les compromettre tout d’abord. Qu’on veuille donc n’y voir, si on l’aime mieux, qu’une variété au mélange, un assaisonnement de plus.

C’est une étrange situation, et à laquelle nous ne pensons guère, nous qui ne pensons volontiers qu’à nous-mêmes, que celle de ces écrivains qui, sans être Français, écrivent en français au même titre que nous, du droit de naissance, du droit de leur nourrice et de leurs aïeux. Toute la Suisse française est dans ce cas ; ancien pays roman qui s’est dégagé comme il a pu de la langue intermédiaire du moyen-âge, et qui, au XVIe siècle, a élevé sa voix aussi haut que nous-mêmes dans les controverses plus ou moins éloquentes d’alors. Ce petit pays, qui n’est pas un démembrement du nôtre, a tenu dès-lors un rôle très important par la parole ; il a eu son français un peu à part, original, soigneusement nourri, adapté à des habitudes et à des mœurs très fortes ; il ne l’a pas appris de nous, et nous venons lui dire désagréablement, si quelque écho parfois nous en arrive : Votre français est mauvais ; et à chaque mot, à chaque accent qui diffère, nous haussons les épaules en grands seigneurs que nous nous croyons. Voilà de l’injustice ; nous abusons du droit du plus fort ; des deux voisins, le plus gros écrase l’autre ; nous nous faisons le centre unique ; il est vrai qu’en ceci nous le sommes devenus un peu.

Au XVIe siècle, au temps de la féconde et puissante dispersion, les choses n’en étaient pas là encore. Les Calvin, les Henri Estienne, les de Bèze, les d’Aubigné, ces grands hommes éloquens que recueil-