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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

comme il le dit agréablement, l’histoire fidèle des plus grands travaux de son adolescence : « Oui, la flânerie est chose nécessaire au moins une fois dans la vie, mais surtout à dix-huit ans au sortir des écoles… Aussi un été entier passé dans cet état ne me paraît pas de trop dans une éducation soignée. Il est probable même qu’un seul été ne suffirait point à faire un grand homme : Socrate flâna des années ; Rousseau, jusqu’à quarante ans ; La Fontaine, toute sa vie. » Jules, j’ose le dire après ample informé, c’est exactement le jeune Rodolphe quant aux impressions, aux sentimens, et sauf les aventures. Ses premières lectures, celles qui agirent le plus avant sur son esprit encore tendre, je les retrouverais dans ses écrits encore, en combinant avec son Jules le Charles du Presbytère. Ce fut Florian d’abord comme pour nous tous, Florian y compris son Don Quichotte édulcoré, qui déjà pourtant éveillait et égayait chez lui la pointe d’humour. Le Télémaque et Virgile lui enseignaient au même moment l’amour des paysages et le charme simple des scènes douces. L’œuvre d’Hogarth, qui lui tombait sous la main, lui déroulait l’histoire du bon et du mauvais apprenti, et les expressions de crime et de vertu, que ce moraliste peintre a si énergiquement burinées sur le front de ses personnages, lui causaient, dit-il, cet attrait mêlé de trouble qu’un enfant préfère à tout. Son vœu secret, dès-lors, son ambition, eût été d’atteindre aussi à servir un jour le sentiment et la moralité populaire dans ce cadre parlant de la littérature en estampes. C’est Hogarth qui l’initia à se plaire à l’observation des hommes, et aussi à se passionner plus tard pour Shakspeare, à qui il l’a souvent comparé, à s’éprendre enfin de Richardson, de Fielding, des grands moralistes romanciers de l’école anglaise. Atala eut son jour ; mais il lui fut infidèle (à l’inverse de Mme de Staël et de beaucoup d’autres), dès qu’il eut connu Paul et Virginie. On voit déjà les instincts se dessiner : naturel, moralité, simplicité, finesse ou bonhomie humaine, plutôt qu’idéal poétique et grandeur.

Pourtant l’influence de Jean-Jacques sur lui fut immense, et, à cet âge de seize à vingt ans, elle prit dans son ame tout le caractère d’une passion. Ce ne fut pas comme livre seulement, mais comme homme que Rousseau agit sur son jeune compatriote ; le site, les mœurs, les peintures retracées et présentes contribuaient à l’illusion : « Durant deux ou trois ans, a pu écrire M. Töpffer, je n’ai guère vécu avec quelqu’un d’autre. » Entendons-nous bien, c’est avec le Rousseau de Julie, avec celui des courses de montagnes, et des cerises