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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

le contraire du bâton, de l’ami solide. Il a des momens sublimes, d’autres détestables ; il emporte son maître et lui joue des tours. Méfiez-vous du pinceau.

Sur les limites du procédé et de l’art ; qu’il est bon, que pour chaque homme l’art soit à recommencer ; sur la différence fondamentale de la peinture antique et moderne ; sur le clair-obscur et Rembrandt ; qu’en face de la nature les plus serviles ont été les plus grands, et que c’est bien ici que ceux qui s’abaissent seront élevés ; que la peinture pourtant est un mode, non pas d’imitation, mais d’expression ; il y a là-dessus une suite d’instructifs et délicieux chapitres, où la pensée et le technique se balancent et s’appuient heureusement, où le goût pour la réalité et pour les Flamands ne fait tort en rien au sentiment de l’idéal, où Karel Du Jardin tient tête sans crânerie à Raphaël. Tout au travers passe et repasse plus d’une fois, avec complaisance et nonchaloir, un certain âne qui sert à l’auteur de démonstration familière à ses théories, et cela le mène à venger finalement l’honnête animal, son ami, calomnié par cet autre ami La Fontaine. Ce chapitre de réhabilitation est victorieux et restera dans l’espèce[1] ; mais, pour commencer, on ne peut tout citer.

En lisant ces pages pittoresques et vives, où la lumière se joue, on ne peut s’empêcher de partager les espérances de l’auteur, lorsque, vers la fin, en vue de l’avenir de l’art dans ces contrées où il n’eut point de passé, on l’entend qui s’écrie : « Toutefois, Suisse, ma belle, ma chère patrie, les temps sont venus peut-être ! J’en sais, de vos amans, qui vous rendent plus que le culte de l’admiration, qui étudient vos beautés, qui se pénètrent de vos grandeurs, à l’ame de qui se découvrent vos charmes méconnus. Le brouillard dans ces vallées se lève tard, voici qu’il semble se lever aujourd’hui. Ce sont des amans qui aimaient trop et de trop près ; à force de sentir, ils ne pouvaient dire. À leur tour, enfin, de parler. »

Dans la Suisse allemande, cela s’est passé un peu autrement, je pense. Par la poésie au moins et par la littérature, la Suisse allemande, dès Haller et Gessner, s’est bien plus exprimée elle-même que la Suisse française ne l’a fait encore. Celle-ci a eu Rousseau, sans doute ; comment l’oublier ? Mais, tout en la peignant, il l’a désertée autant qu’il a pu. Le grand historien helvétique, un des plus grands historiens modernes, le vrai peintre et comme le poète épique des vieux âges, Jean de Muller, est de cette autre Suisse qui n’a point, entre l’Allemagne et elle, les mêmes barrières de croyances et de

  1. Chap. VIII du IIIe livre du Traité.