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pas ces questions. Il suffit à notre but d’énoncer, comme vérité historique démontrée, que, dès le milieu du XVIIe siècle ou même avant, les arts du dessin ont sensiblement décliné dans toute l’Europe civilisée. Cette déchéance est constatée de reste par l’infériorité relative de leurs produits. Mais cette infériorité se rattache elle-même à un autre phénomène moral dont elle n’est qu’un des effets immédiats, à savoir, l’affaiblissement graduel du sentiment esthétique dans les masses. L’art, en effet, n’est plus, comme en d’autres temps et d’autres lieux, un véritable besoin vital des peuples ; il n’a pas disparu sans doute, et ne saurait disparaître complètement, mais il a dès long-temps cessé de figurer en première ligne, comme fait social, dans l’existence des nations modernes. Lié par son essence non-seulement au sentiment religieux, mais encore à un ensemble de croyances déterminées, il ne saurait vivre et subsister hors de cette atmosphère. Diminuez ou altérez cette force interne dont il est l’instrument, aussitôt son action languit et se dérègle, comme celle d’un membre dont les communications avec le centre vital sont interrompues. Resté sans fonctions sociales précises, il est rejeté sur le second plan comme un brillant accessoire. Ce n’est plus un besoin, un instinct impérieux, mais un goût, un luxe, une habitude ; ce n’est plus cette langue universelle que tous entendent, mais un idiome savant réservé à quelques privilégiés. Les artistes, placés dans un milieu ingrat qui ne peut rien donner ni recevoir, s’agitent en efforts impuissans et stériles. Les uns, ne trouvant autour d’eux aucun point d’appui dans l’esprit contemporain, se rejettent par désespoir dans le passé. L’art entre leurs mains fait des pointes dans toutes les directions, il essaie des restaurations, il se fait grec et païen, comme chez nous il y a quarante ans, gothique et catholique, comme aujourd’hui en Allemagne. Mais on sait que les restaurations ne réussissent pas. D’autres, moins préoccupés du but supérieur de l’art que de la pratique, renouvellent non plus des époques, mais des écoles ou même des maîtres. Ils sont ou veulent être flamands, florentins, bolonais, vénitiens ; ils tâchent de ressembler à quelqu’un, à Rubens, à Corrège, à Rembrandt ; la plupart suivent le courant de la mode et du goût dominant, et se soumettent aux exigences de quelques systèmes littéraires, aux fantaisies d’un individu. Mais comme toutes ces routes ne conduisent à rien de grand, et comme d’ailleurs les facultés esthétiques tendent toujours à une expression plus haute et plus sincère, l’art, dégoûté de ces restaurations de toute pièce et de ces archaïsmes systématiques, se fait éclectique. Pour donner