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rois chercher les tables d’airain que l’on expose aux regards de l’assemblée. Le sphinx, en sa qualité d’expert aux choses obscures, est chargé d’expliquer les endroits difficiles ; mais, quelque étrange et singulier que puisse paraître le texte, personne n’a le droit de demander des explications au maître.

Sur la première table d’airain est écrite la biographie d’Idaméel ; toutes sortes de présages sinistres ont accompagné sa naissance. Venu au monde par le moyen de l’opération césarienne, il est sorti vivant du sein mort de sa mère. Ce jour-là, son père disparut frappé par la foudre, et, à dater de cette naissance, tous les hymens furent stériles ; ces signes non équivoques montraient que la terre, arrivée à sa décrépitude, touchait au jour suprême. Aucune femme ne voulut d’abord nourrir le petit Idaméel ; mais enfin, il s’en trouva une qui pleurait auprès d’un berceau vide, et qui, émue de compassion, entr’ouvrit sa tunique et le nourrit moins de lait que de larmes et de sang.

Un vieux rabbin juif, retiré dans les grottes d’Éléphanta, résumant sous son crâne chauve toutes les sciences et toutes les sagesses humaines, fit l’éducation du jeune Idaméel ; leur cabinet d’étude était une de ces immenses pagodes souterraines, une de ces syringes vertigineuses de profondeur, noirs abîmes où l’Inde et l’Égypte ont enfoui leur symbolisme monstrueux : là dorment des familles de dieux oubliés, des olympes abolis, c’est comme une espèce de cimetière théogonique où sont enterrées les religions mortes. Idaméel, guidé par le rabbin, lit couramment le secret des hiéroglyphes, interroge les divines momies, relève le voile des Isis, fait parler les mille têtes des dieux indous, déchiffre les stèles, déroule les papyrus, scrute les zodiaques, épèle dans l’alphabet d’or des constellations, combine les chiffres de la cabale, évoque les ombres, les démons et les esprits, et devient plus savant à lui seul que toutes les académies du monde. L’histoire, la philosophie, la science, n’ont plus de mystères pour lui ; il n’a pas même dédaigné le magnétisme et la phrénologie, il raisonne sur les crânes des races caucasienne, éthiopienne et mongole, comme Camper lui-même ; il sait sur le bout du doigt son saint Jean, son Swedenborg et son Jacob Bœhme ; toute l’intelligence humaine semble s’être réfugiée, avant de fuir la terre, dans cette tête encyclopédique. Les sombres problèmes de l’ame, tous les écueils de la mer intellectuelle, sont explorés par ce rude plongeur que n’effraient ni les suçoirs des poulpes, ni l’épée des narvals, ni les dents des requins, ni les inextricables entrelacemens de la Flore océanique.