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vraient de leur lèpre la face du soleil, et s’étendaient comme les taches de la putréfaction sur la peau d’un cadavre. Le nouveau Prométhée, initié par ce sacrilége à la plus secrète pensée de Dieu, et maître de la puissance cosmogonique, raccommode les planètes avariées, pétrit la terre à sa fantaisie, bâtit des villes géantes pour les générations de l’avenir, car il ne doute pas que Sémida, éblouie de tant de splendeurs et de gloire, n’accorde au dieu ce qu’elle a refusé à l’homme ; en quoi il se trompe, car le génie ne sert pas à grand’chose en amour, et l’infériorité est souvent une raison de réussite, car l’on aime mieux donner que recevoir. Après avoir raffermi la création chancelante, Idaméel, qui se trouve être tout bonnement l’Antechrist, retourne au mont Arar pour tenter un suprême effort sur la pudeur de Sémida ; Cléophanor est au moment de rendre l’ame, il est couché à terre, dans une grotte, ayant pour oreiller le grand lion symbolique, le fauve ami des saints Jérôme, le sauvage fossoyeur des anachorètes, dont la crinière, épanchée à grands flots, sert de cheveux au crâne dépouillé du mourant, et mêle ses mèches jaunes aux touffes d’argent de sa barbe. Le vieillard recommande bien à sa fille de garder sa vertu et de se souvenir de son serment ; puis il rend l’ame, et le lion creuse avec ses ongles d’airain une large fosse ; Idaméel y roule un énorme quartier de roche, et enlève dans ses bras la pauvre Sémida tout en larmes, sans se laisser effrayer le moins du monde par l’apparition fulgurante d’Éloïm, l’ange gardien de la jeune fille ; le ravisseur d’un coup d’œil fait reculer l’archange, qui s’évanouit dans les immensités du ciel et n’ose engager le combat…

L’enfer en est là de sa lecture, lorsqu’il se sent remué jusque dans ses profondeurs ; trois éléphans de fer roulent de leur piédestal jusqu’au pied d’Idaméel, qui, toujours impassible, fait signe de la main que l’on continue. — Cette commotion est produite par la résolution du Christ, rédempteur clandestin, comme l’appelle M. Soumet, qui du fond de l’infini descend déjà vers l’abîme que veut combler son inépuisable miséricorde.

L’Antechrist a beau faire des miracles et déployer un génie surhumain, il ne peut vaincre la résistance de Sémida, protégée en outre par le lion de son père, qui pousse des hurlemens horribles, se bat les flancs avec sa queue, fait craquer ses mâchoires, creuse le sable avec ses griffes, et commet tous les excès habituels aux lions de mauvaise humeur, lorsqu’Idaméel approche de sa maîtresse. Celui-ci, se ressouvenant du père Enfantin, exerce sur le lion la puissance du regard : la bête fauve, pétrifiée par cette prunelle magnétique et fascinatrice,