Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/126

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
122
REVUE DES DEUX MONDES.

l’esprit ; le dessin est lâché et la couleur de convention ; nulle part on ne sent l’étude de la nature, nulle part le désir d’appliquer exactement le mot sur la chose ; les descriptions sont vagues, sans arrêt, et n’évoquent pas les objets qu’elles devraient représenter ; le style passe de l’afféterie la plus maniérée à la boursoufflure la plus asiatique, et rien n’est plus désagréable que ce mélange du mignard et du gigantesque. Les métaphores manquent de logique, et arrivent rarement à bien ; les comparaisons ne se rapportent pas aux choses qu’elles expriment, et détruisent l’effet des vers qui les précèdent. Par exemple, dans la description de l’enfer, il est dit : dans chaque antre, dans chaque puits, quelque forme hideuse, quelque monstre enfoui,

Tremble comme une perle au fond des mers de l’Inde,
Ou comme un beau lotus dans les lacs de Mélinde.

Quel rapport y a-t-il entre une perle, un beau lotus, et des dragons accroupis au fond d’un puits de ténèbres ? Cette faute se retrouve encore dans l’orgie infernale, où M. Soumet compare les tourbillons des damnés aux jeux de deux vertes demoiselles qui dansent dans un rayon de printemps, égratignent les eaux de l’étang, et agacent les fleurs du nénuphar ! Cette suite d’images agréables distrait la pensée et détruit tout l’effet du tableau. Ces disparates se représentent fréquemment chez M. Alexandre Soumet, qui, emporté par sa facilité de versification, oublie aisément son point de départ et perd de vue son dessin primitif. L’horreur du mot propre, bien naturelle à un académicien, fait commettre à M. Soumet une foule de vers tels que celui-ci, en parlant d’un éléphant :

Il écrase sa fête,
Et de ses bonds puissans promène la tempête.

Ou celui où il est question de la foudre :

Le volcan voyageur qui s’élance avec lui.

Les larges diamans
Qui sur ses bras d’albâtre incrustent les tourmens.

Il est d’une très mauvaise grammaire d’accoupler ainsi un verbe positif à un substantif métaphysique : on n’incruste pas une souffrance, on ne promène pas la tempête d’un bond… Cette phraséologie est familière aux auteurs du temps de l’empire, aux pseudo-