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rien de flottant ; la fumée de la flamme éternelle n’estompe pas un seul contour ; les obscurités proviennent toutes d’allusions mystiques ou historiques dont le sens est perdu, et non du style du poète, qui est toujours fermement sculpté, arrêté et précis, comme si le soleil des vivans éclairait les scènes qu’il décrit.

M. Alexandre Soumet a cru qu’un style vague et gigantesque convenait davantage à l’ordre d’idées surnaturelles qui composent son poème, oubliant que c’est surtout lorsque la pensée est obscure que la forme doit être claire, et que des images énergiquement modelées doivent mettre en relief les ombres insaisissables de la métaphysique : donner un corps à l’idée, incarner le verbe, telle est la fonction du poète. Assurément, l’on ne peut pas être très intelligible lorsqu’on parle de mystères, tels que l’infini, l’incréé, l’éternité, etc. ; mais que la syntaxe soit toujours respectée à défaut de la théologie.

À ce reproche, nous en joindrons un autre, c’est le faux goût qui règne dans quelques parties de l’ouvrage, et qui surprend de la part d’un académicien, d’un homme nourri dans les graves études et la familiarité des modèles. Une grace maniérée, bleuâtre et froide comme l’Endymion de Girodet, vient gâter, par ses grimaces et ses mines, les endroits les plus sérieux et les plus solennels. Les recherches de Gongora et de Marini ne sont rien à côté de cela : c’est un entassement de mignardises puériles, de naïvetés précieuses, de coquetteries de vieille Célimène dont on n’a pas l’idée : les roses, les lis, l’albâtre, la neige, les parfums pétris ensemble y sont prodigués à chaque pas. L’héroïne est vêtue d’une tunique bleu de ciel nouée d’une faveur, et porte à son cou une croix de saphyrine, que le dictionnaire assure être une variété de calcédoine, mais qui est certainement une pierre d’un goût pharamineux et supercoquentieux, s’il nous est permis de nous servir nous-même de néologismes en reprochant à M. Soumet d’en commettre. Ce costume donne la mesure du reste ; élégance de pension, idéal de petite fille, afféterie de boudoir, voilà ce que l’on trouve le plus souvent où il faudrait les lignes chastes, la couleur sobre, l’exécution délicate et naïve des premiers maîtres catholiques. Nous ne saurions mieux caractériser ce style qu’en disant : — C’est du Dorat au point de vue du peintre Martin, — du joli colossal, du mignard démesuré.

Les passages terribles sont traités avec l’exagération la plus monstrueuse ; on ne peut aller au-delà en fait d’excès et d’ambitions. Chaque phrase avec ses mots est comme une armée de titans qui veut escalader le ciel. Les rimes se haussent l’une sur l’autre, et les métaphores au pied hardi montent jusqu’au sommet d’incommensu-