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n’ont d’autres propriétés que celles qui dérivent immédiatement de leur destination. Les produits de l’industrie humaine, au contraire, portent tous la marque de l’art. On y trouve toujours quelque chose de surajouté qui dépasse les rigoureuses conditions de leur destination et la limite du strict nécessaire. Rien ne sort des mains de l’homme qui n’ait, à quelque degré, une intention et un but esthétiques. Le fait est sans exception. Il se révèle jusque dans la massue et le vase de bois du sauvage, jusque dans les produits des plus vulgaires et des plus triviales industries. Et cette loi est si absolue, qu’elle fournit une définition de l’homme préférable à toutes celles qui ont été données par les philosophes, et même la seule rigoureuse, c’est celle-ci : L’homme est un animal esthétique.

Ainsi donc, même aux époques les plus déshéritées sous ce rapport, l’art a toujours une carrière ouverte. Quelque restreint que soit son rôle, se réduisît-il, comme on l’a vu chez les Hollandais, à poétiser les champs et les détails de la vie domestique, son intervention est toujours bonne ; elle est toujours essentiellement civilisatrice, et, qu’on nous passe le terme, humanisante. Elle s’adresse aux côtés les plus nobles et les plus délicats de notre nature, et partout où elle se manifeste, elle est à la fois le signe et l’instrument d’un haut développement intellectuel et moral. Les peuples qui méprisent l’art seront toujours, quelle que soit leur puissance matérielle, inférieurs, comme famille humaine, à ceux qui l’honorent et le cultivent. Les gouvernemens qui l’encouragent et le patronent font une œuvre noble et méritoire, et les gouvernemens qui, abusés par des vues exclusives de bien-être matériel, le négligent ou le repoussent, ne sont, qu’ils le sachent ou l’ignorent, que d’aveugles promoteurs d’une barbarie déguisée.


Il est grandement temps de mettre fin à ces préambules, et de visiter le salon au lieu de perdre notre temps à en faire la théorie. Mais nous sommes encore arrêté à la porte même par une question préalable que la critique et les artistes y rencontrent inévitablement, la question du jury. Cette année, l’orage n’a pas été aussi fort que les années précédentes, et tout s’est passé assez pacifiquement. Nous n’avons que peu de mots à dire. L’institution de ce jury d’admission ou plutôt d’exclusion est mauvaise, parce qu’elle ne peut fonctionner équitablement. La faute n’en est pas aux hommes ; nous les supposerons, pour la commodité de la discussion, honnêtes jusqu’au scrupule, exempts de passions et de préjugés, illuminés de toutes les