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et même, en ce qui concernait ses propres sujets, avec une sollicitude toute paternelle. Une fois la nécessité du monopole admise, il faut reconnaître que la compagnie se trouvait dans l’obligation de fournir aux besoins de la consommation. Elle n’a pu, il est vrai s’aveugler sur l’existence de ce fait, que la plus grande partie de l’opium acheté à ses ventes publiques était importée en contrebande en Chine, en opposition avec les lois du pays, et contribuait nécessairement à l’abrutissement des populations ; mais la connaissance de ce fait, quelque déplorable qu’il pût être, n’imposait pas au gouvernement de l’Inde anglaise l’obligation de suspendre ses ventes, ou de prohiber une culture profitable à ses sujets. Si la culture eût été parfaitement libre, et que l’opium exporté eût payé un droit à l’exportation, comme d’autres marchandises, la Chine eût été inondée plus promptement, à meilleur marché, et d’un opium de qualité inférieure. Voilà ce qui paraît certain. Ce que la compagnie pouvait et devait éviter, c’était de se rendre complice d’un trafic illégal, et c’est une règle qu’elle a observée d’une manière scrupuleuse. Empêcher l’introduction clandestine et illégale de l’opium en Chine et en d’autres pays était évidemment l’affaire et le droit exclusif des gouvernemens de ces pays. Il serait, il faut en convenir, plus raisonnable de mettre sur le compte de nos gouvernemens tous les excès causés par l’ivrognerie et la démoralisation dégradante qui résulte de l’abus des liqueurs fortes, dont la consommation (source importante de revenus) est légalisée dans nos climats, que de déclamer, comme on le fait, contre la compagnie des Indes anglaises, au sujet du monopole de l’opium. Nous pensons même que, si la compagnie eût repoussé avec une vertueuse horreur ce revenu net de 30 à 40 millions que lui procure l’opium aux dépens des étrangers, et eût cherché à remplacer cette source de revenu par un impôt levé sur ses propres sujets, une pareille conduite eût été stigmatisée comme le comble de la folie et de l’hypocrisie à la fois. On s’est beaucoup apitoyé sur les maux qu’imposerait à la population indienne une production forcée de cette drogue pernicieuse, et on a imprimé plusieurs fois que les misères qui résultent, pour les Indiens employés à la culture du pavot, de la contrainte exercée à leur égard, et de l’insuffisance du prix des journées, sont comparables aux souffrances des esclaves dans les pays les moins civilisés de la terre. Ces assertions sont contredites par des documens officiels et par le témoignage des personnes les mieux instruites de ce qui se passe. Il n’est pas moins inexact de prétendre que la culture du pavot ait pris une extension