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morts et les démissionnaires. Les articles 5, 6 et 7 bâillonnèrent ce sénat, qui ne conservait voix délibérative qu’en matière de finances, M. Capodistrias n’osant pas, pour le moment, lui enlever cette dernière liberté. Le reste du décret consacra l’omnipotence du chef du gouvernement.

Le sénat installé, la nation ressentit le plus vif étonnement de n’y voir ni Conduriottis, ni Colettis, ni Mavrocordato, ni Zaïmi, ni tant d’autres qui avaient jusque-là dirigé les affaires. L’illusion que conservait peut-être encore la masse du peuple sur les intentions du président, se dissipait rapidement. Cependant on se méprit sur l’éloignement de M. Mavrocordato ; sa scission avec le pouvoir était plus profonde qu’on ne le supposait. C’était lui qui, appelé au sénat, avait refusé d’en faire partie, brisant tout rapport avec un chef qu’il avait contribué à élever. La plupart des notabilités l’imitèrent ; un petit nombre seulement, et spécialement M. Colettis, se retrancha dans une opposition légale, et pour ainsi dire silencieuse, attendant les évènemens pour agir, et repoussant les propositions d’amis plus impatiens qui voulaient appeler la force à décider sur leurs droits. Si M. Capodistrias eût ouvert les yeux en ce moment, sa position n’était pas désespérée encore. En écoutant les avis de patriotes éclairés il aurait pu, sinon ramener, du moins ne pas craindre M. Mavrocordato et ses amis ; mais, loin de se jeter dans cette voie, il s’enfonça tous les jours davantage dans son système d’isolement et d’arbitraire.

Malgré les protestations de dévouement qu’il prodiguait à l’Angleterre et à la France, il se montrait beaucoup plus porté à user de la protection de la Russie. L’élévation des droits d’importation portée à 10 pour 100 avait vivement mécontenté le commerce anglais, accoutumé à ne payer que 2 pour 100, et n’avait procuré aucun avantage à la nation, encore trop peu avancée en industrie pour profiter de ce bénéfice. Il ne consultait guère la France que pour lui demander des secours d’argent, et le ministre du czar était en toute occasion le conseiller confidentiel pour lequel il témoignait le plus de déférence. Par réciprocité sans doute, cet agent approuvait volontiers ce que faisait le président, et il se plaisait à répéter qu’il n’était en Grèce que pour le soutenir, et que, si l’occasion le requérait, il ne lui manquerait pas. Les résidens de France et d’Angleterre tenaient officiellement le même langage, dans des intentions certainement plus droites ; mais, rentrés dans la vie privée, ils ne pensaient pas autrement que tous les étrangers venus en Grèce, que les officiers même des escadres et de l’armée d’occupation, qui ne partageaient point l’enthousiasme russe pour M. Capodistrias. Il est assez probable que le président de la Grèce conserva ses premières affections pour le gouvernement qu’il avait servi avec tant de succès ; il n’est même pas impossible qu’il soit resté fidèle aux instructions du czar. Néanmoins la Russie ne jouissait en Grèce d’aucun avantage particulier. L’armée grecque ne comptait pas d’officiers russes, aucune branche de l’administration ne s’était recrutée d’individus de cette nation. Les relations fréquentes et intimes qui existaient entre M. Capodistrias et M. de Ruckmann, voilà les seules traces de connivence russe qui puissent être signalées à dater de l’arrivée du président en Grèce.