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LE SALON.

bien ambitieux ; mais, comme il justifie en partie cette nuance, il ne faut pas trop le quereller là-dessus. Il y a indubitablement de la verve, de l’entrain et une fougue naturelle dans cette peinture, et, bien qu’au fond elle soit plus bruyante que terrible, elle annonce de l’imagination ; mais elle trahit bien de l’inexpérience. Le sujet n’est pas délimité, la composition est confuse et embarrassée ; on ne sait où arrêter l’œil, et on n’est jamais sûr de voir ce qu’on voit. L’effet papillotte, et, par une coïncidense singulière, le ton est à la fois varié et monotone ; mais on rencontre çà et là des intentions bien senties, des expressions vraies, et une certaine force d’exécution qui dégénère souvent en dureté et en violence. Le choix du sujet n’est pas heureux. Plus un sujet est grand, imposant, abondant et sublime, en idée et vu de loin dans l’imagination, moins il est susceptible d’être suffisamment réalisé sur la toile. Il faut une bien grande force pour supporter un grand sujet.

Sous le no 1487, et sous le titre d’une Promenade d’Héliogabale dans Rome, M. Ch.-L. Muller nous a donné la peinture la plus bizarre peut-être du salon, qui est cependant riche en ce genre. Cet artiste, qui faisait jadis d’autres choses et d’une autre manière paraît avoir été un peu troublé par M. Delacroix. Il faudra bien admettre qu’il y a quelque espèce de talent dans cette bacchanale, mais ce talent est insuffisant. En fait d’art, rien ne ressemble tant, au premier abord, à une bonne chose qu’une mauvaise, mais l’illusion dure peu. Sous cet oripeau d’opéra et ce clinquant de lumières et de couleurs, nous n’apercevons rien de sérieux. La peinture admet le nu, mais non les nudités. Or, ce sont des nudités que nous montre M. Muller, et, qui pis est, des nudités laides. Il est pourtant de rigueur stricte que des femmes nues, surtout si ce sont des courtisanes, soient belles ; l’art doit s’interposer entre l’œil et la réalité. Or, ici, cet art n’est ni assez délicat, ni assez brillant, ni assez fin, ni assez poétique, pour emplir cet office. Considérée absolument comme peinture, la composition de M. Muller a du mouvement et de la vie, mais c’est le mouvement et la vie d’un ballet ; l’effet général de couleur est attirant, mais faux et fantasque ; l’inexcusable néglitgence de l’exécution, le goût malheureux du dessin et du style, n’offrent guère de compensations pour tout le reste.

Ce n’est pas sans découragement et même sans quelque tristesse que nous nous décidons à jeter enfin les yeux sur les peintures religieuses, tant l’impression en est fâcheuse. Décidément, les talens abandonnent tout-à-fait cette sphère supérieure de l’art, ou plutôt peut-être