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soutenir une simple corvette montée par Miaulis : fortement maltraités, les Russes se retirent ; la goélette mouille sous le fort de Poros.

Les troupes du président n’avaient pas été plus heureuses que leurs alliés dans la tentative qu’à la faveur du combat naval elles avaient faite contre la ville : une fusillade bien nourrie les avait bientôt forcées de s’éloigner ; mais tout n’était pas fini. Les Russes revinrent plus nombreux ; toute leur flotte, soutenue par deux corvettes du gouvernement grec, engagea le combat. Ils triomphèrent : victoire plus funeste qu’une défaite. La goélette qui avait causé le premier engagement sauta ; la corvette de Miaulis fut désemparée, le fort de Poros mis en cendres, et le vieux amiral grec, voyant ses deux cents hommes décimés, poussé au désespoir, ne voulant se rendre ni au président, ni aux Russes, fit sauter la frégate l’Hellas et tous les bâtimens dont il s’était emparé ; puis, faisant monter son équipage sur quelques chaloupes, il s’échappa. Les Russes étaient les maîtres ; mais, peu consolés par le succès, ils se répandaient en menaces, et ne parlaient de rien moins que d’aller saccager Hydra. MM. Viaro Capodistrias et Gennatas ne voulurent pas être témoins de la catastrophe qui paraissait si prochaine ; ils s’embarquèrent et retournèrent à Corfou. Le président fit décréter de haute trahison les principaux habitans de l’île rebelle, qui fut en outre déclarée en état de blocus.

Qu’étaient devenus ce bon accord, cette union de toutes les volontés qui avaient si miraculeusement soutenu les premiers pas de M. Capodistrias dans le gouvernement du pays ? La guerre civile recommençait son horrible tragédie : de tous côtés, le désordre et le pillage ; les troupes françaises qui occupaient encore la Morée, ne croyant pas devoir rester spectatrices impassibles des massacres, cherchèrent à s’interposer entre les partis. Mais, comme leurs représentations étaient toutes pacifiques, qu’elles ne tiraient pas le sabre pour soutenir le pouvoir, M. Capodistrias se récria. De peur d’augmenter le trouble, elles restèrent donc dès-lors complètement passives, et se contentèrent d’empêcher que le mal ne se fît trop près d’elles. La conduite de l’amiral russe était bien différente. Il parcourait les mers de la Grèce avec son escadre, poursuivant les bâtimens hydriotes, cherchant à venger un peu son déplorable triomphe de Poros, et se mêlant directement dans un débat où il n’aurait dû paraître qu’en pacificateur.

On était en septembre ; dès les premiers jours de ce mois, le président perdit encore le dernier des chefs grecs qui n’eût pas brisé avec lui. La conversation qu’ils eurent ensemble dura deux heures ; vive, emportée comme une explication dernière, elle ne tourna pas à l’avantage de M. Capodistrias. Son interlocuteur l’accabla de reproches : « Vous voilà, lui dit-il, arrivé au fond de l’abîme ; les conseils les plus désintéressés, vous les avez méconnus ; les vrais amis du pays ont été, par vous, découragés, dégoûtés, éloignés, révoltés. Pour moi, qui jusqu’ici ne vous avais point abandonné, mais qui ne veux pas vous suivre vers le but où vous tendez, je vous quitte ; allez seul ! » Un moment, M. Capodistrias, reculant toujours devant son partner, fut obligé de rester acculé dans un coin de l’appartement, et de l’écouter sans mot dire.