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Ici se termine l’histoire de M. Capodistrias ; six mois de perturbations et de malheurs suivirent et couronnèrent son gouvernement. Nulle trace de son passage n’était restée sur le sol de la Grèce.

Diplomate plein de mérite, le comte montra, au début de sa carrière, une grande habileté à conduire des affaires difficiles, un grand tact pour se concilier la bienveillance de ceux qui l’approchaient. Dans l’intimité, on l’aimait ; son esprit fin, sa profonde connaissance du monde et des mille détails qui colorent et expliquent la vie des hautes classes à notre époque, rendaient sa conversation très intéressante et assuraient sa supériorité dans les salons diplomatiques. Une teinte de mysticité imprégnait son langage, sans que sa raison, disent quelques personnes, l’eût réellement adoptée. Lorsqu’il fut à la tête d’un gouvernement, et que, passant de la théorie à la pratique, son occupation ne fût plus de manier des protocoles mais des intérêts vivans et présens, l’homme habile disparut. Il sembla prendre à tâche de heurter sans nécessité les sentimens de sa nation. À un peuple joyeux, moqueur, ami de l’indépendance, il voulut imposer les assimilations et les classifications qu’il avait admirées dans le Nord. À l’aide de ses projets, et toujours le nom du Très Haut à la bouche, il ne sut employer que la violence. Avant de s’être assuré que les notabilités grecques ne pouvaient être gagnées, il les éloigna. Il voulut flatter l’esprit des classes inférieures et oublia que les blesser dans leur respect pour les gloires de la révolution était le pire des moyens. Inébranlable dans son système, il mériterait par cela seul des éloges, si ce système eût été rationnel et ne se fût pas appuyé sur les forces insuffisantes de sa famille. Enfin, honorable comme homme privé, intègre, d’un talent reconnu, une fois sorti de l’atmosphère des salons et des bureaux, au grand air du commandement véritable, il a mérité l’oubli plutôt que la haine.

Sa physionomie d’homme d’état est difficile à dessiner nettement, car tous les résultats de sa carrière sont peu saillans ; il est difficile de déterminer avec précision la part qui lui revient dans les transactions politiques de son époque, les faits de sa vie administrative n’ont pas eu le temps de se manifester. Le président de la Grèce a été porté aux nues par ses amis particuliers, par les créatures qu’il s’était attachées en Grèce, et surtout par les partisans de la Russie. Les faits que nous venons de réunir et d’étudier ne nous permettent pas de nous placer à ce point de vue trop favorable. Sans le traiter d’ennemi absolu du pays qu’il gouvernait, nous suspendrons notre jugement au-dessus des deux opinions que nous avons essayé de faire ressortir.

L’ami d’Alexandre, l’admirateur des idées genevoises, si goûtées par son maître, le serviteur dévoué de la Russie, le fonctionnaire qui, dans sa solitude helvétique, conservait de si actives relations d’amitié avec son ancien souverain, le gouvernant, enfin, qui, dédaignant tout autre appui que celui de Pétersbourg cherchait à plier son peuple à des formes moscovites, M. Capodistrias peut être accusé sans injustice d’avoir rêvé une union plus intime de la Grèce avec l’empire russe.

D’un autre côté, cette volonté persistante de réunir tous les pouvoir dans