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REVUE. — CHRONIQUE.

Au reste, nous avons grande confiance dans l’habileté et l’expérience de M. Humann, et c’est avec hésitation que nous lui présentons quelque doute sur une mesure qui paraît par trop s’éloigner de nos habitudes et de nos mœurs.

Il se passe dans ce moment des faits dignes d’attention en Prusse. La Prusse occupe sans contredit le premier rang parmi les puissances allemandes proprement dites. L’empire d’Autriche, mélange d’Allemands, de Hongrois, de Slaves, d’Italiens, n’a rien de compact, rien d’homogène, rien de véritablement national pour les Allemands. La politique du jour à part, l’Autriche n’est à la tête de rien en Allemagne. La science, l’art, les lettres, ce n’est pas à Vienne qu’ils trouvent leur capitale. L’Autriche les tolère à peine. Enfin, l’Autriche n’appartient à la confédération germanique que par une faible partie de ses vastes possessions. Elle a des intérêts non-seulement distincts des intérêts allemands, mais qui peut-être leur sont contraires. Sa politique n’est pas subordonnée à la politique allemande, elle n’est pas même coordonnée nécessairement avec elle. L’Allemagne n’est pour l’Autriche qu’un de ses moyens, et ce n’est pas le moyen le plus efficace, celui sur lequel elle a le droit de compter davantage. La Prusse, au contraire, est tout allemande et n’est qu’allemande. Berlin, grace à son académie et à sa brillante université, à cette université, création d’autant plus admirable qu’elle a été fondée au milieu des désastres de la Prusse, et presque comme une noble réparation de ses malheurs politiques ; Berlin devient la capitale des intelligences en Allemagne. Goethe n’est plus. Tous les regards ne se portent plus sur Weimar. C’est sur Berlin qu’ils se fixent désormais. La Prusse est tout entière dans la confédération germanique. C’est elle qui peut dire à toutes les parties de l’Allemagne : — Vos intérêts sont les miens ; mes intérêts sont les vôtres. — Par la force des choses, lentement sans doute, comme cela se pratique en Allemagne, c’est autour de la Prusse que les Allemands se groupent. C’est elle qui est le centre d’une unité morale qui pourra devenir un jour une grande unité politique. Ce que la Prusse gagne par cette attraction, l’Autriche, par une conséquence nécessaire, le perd. Un jour, ce double mouvement éclatera ; il changera plus d’une destinée au-delà du Rhin ; il produira de grands résultats ; il serait ridicule d’essayer ici de les deviner, mais il serait plus ridicule encore de ne pas les prévoir, de se persuader qu’ils n’arriveront pas.

Nous sommes convaincus que la Prusse les attend avec calme, sans impatience aucune, et que l’Autriche les entrevoit et les redoute depuis long-temps. Le cabinet autrichien est des plus clairvoyans. Il tient à ses principes que d’autres appellent ses préjugés, il ne veut pas en démordre ; mais il en connaît le fort et le faible et ne se fait pas d’illusion sur les dangers qui le menacent. Au contraire, c’est la prévision lointaine de ces dangers, c’est la conscience de ces périls qui le rend si soupçonneux, souvent tracassier, exigeant, persécuteur. Il voudrait étouffer en germe tout ce qu’il sait ne pouvoir se développer que contre lui. Avec les formes les plus agressives, il ne fait souvent que se défendre