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REVUE. — CHRONIQUE.

nera des droits à la gratitude de l’Allemagne toute entière, c’est une victoire sur lui-même qui ne coûtera de larmes à personne.

On dit que les états provinciaux ont été autorisés à publier leurs délibérations, et que le roi leur a permis de lui envoyer des députés pour conférer sur les besoins de leurs provinces ; de là aux états-généraux, il n’y a qu’un pas. Il faudra peut-être quelque temps pour le franchir, mais nous espérons que la Prusse le franchira sous les nobles inspirations de son monarque.

D’ailleurs, une première concession n’est jamais perdue dans l’Allemagne du nord. Les Allemand du nord conservent ce qu’ils ont conquis, parce que chez eux ce n’est pas seulement l’intérêt qui règle la conduite, c’est l’idée qui domine. L’idée ne meurt pas, elle se fortifie et se développe dans la mauvaise comme dans la bonne fortune. Les peuples qui pensent ne se laissent pas, comme les peuples qui ne savent que sentir, déshériter, sous de vains prétextes, de ce qu’ils ont obtenu. Ils ne se paient pas de mots et d’apparences. Ils ruminent longuement leur pensée, mais ils la gardent. De même, quelque faible que soit la conquête d’aujourd’hui, elle leur est chère et précieuse, parce qu’elle est le commencement pratique, extérieur de l’idée ; elle leur est chère comme le germe l’est au cultivateur qui a laborieusement préparé le terrain où il vient de déposer la semence. Il le garde avec un soin jaloux qui en assure le développement et les produits.

La France ne peut qu’applaudir aux nobles destinées auxquelles la Prusse paraît appelée. La Prusse constitutionnelle est notre alliée naturelle, et cette alliance serait une puissante garantie de la paix du monde, en détruisant une fois pour toutes ce levain de méfiances et de soupçons qu’avaient légué à l’Europe les vieilles coalitions.


Esvero y Almedora, poème en douze chants, par don Juan Maria Maury. — On se plaint à tort que la France a perdu de son influence en Europe. Les idées françaises envahissent le monde ; ni douanes, ni cordons ne les peuvent arrêter. L’Espagne, par exemple, ne doit-elle pas à nos livres, à notre exemple, une révolution politique qui promet de devenir sociale ? Il n’y a pas de quoi se vanter, dira-t-on. Elle nous est encore redevable d’une révolution littéraire. Le romantisme a franchi les Pyrénées, il règne à Madrid. Grace à nous, on y possède maintenant force drames avec adultères, force romans sataniques, force poésies nébuleuses ; bref, la littérature française, je dis la littérature moderne, en a créé une à son image en Espagne. En ce moment, au milieu du désordre général qui suit toujours une émancipation, on aperçoit quelque tendance vers un système éclectique, qui nous est également emprunté, et plusieurs écrivains s’efforcent de louvoyer entre les deux écoles les exagérations de l’une et les restrictions exclusives de l’autre.

C’est à ce juste milieu prudent qu’appartient l’auteur du poème d’Esvero y Almedora. M. Maury a long-temps habité la France, et s’y est fait connaître comme homme de savoir et de goût par la publication de son Espagne poétique, ouvrage écrit dans notre langue, avec une pureté remarquable, et qui réunit, à des aperçus ingénieux sur la littérature espagnole, des traductions ou plutôt des imitations en vers annonçant une connaissance approfondie du