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peut-être dans la seconde classe de l’Institut, d’attention disponible à reporter sur le passé. Comme les individus dans les grandes crises de passions ne sentent que la peine ou la joie présente, la France, pendant ce paroxisme de gloire, fut absorbée tout entière par l’effort ou l’émotion de la lutte. Mais quand, après le dénouement funeste de ce drame prodigieux, elle fut retombée dans le calme et eut repris le courant des traditions nationales, elle se trouva, par la conscience même des grandes choses auxquelles elle avait assisté ou concouru, mieux préparée qu’auparavant à l’intelligence des évènemens de même nature qui se sont accomplis dans l’histoire. Cette active génération de la république et de l’empire qui avait vu des transformations sociales, des démembremens d’états, des chutes et des restaurations de dynasties, des chocs violens de castes et de peuples, cette génération qui avait fait ou avait vu faire, de l’histoire et de la poésie en action, sentit, dans son repos plein de souvenirs, le besoin d’une littérature plus poétique et d’une histoire plus réelle. Les compilations sans couleur de Velly, Garnier, Millot, Anquetil, ne lui parurent qu’une solennelle et insipide déception. La jeunesse surtout se prit d’un dégoût immense pour ces récits uniformes, glacés par l’étiquette moderne, et où toutes les nuances de lieux, de temps et de races disparaissaient sous des formules banales et convenues. Le même besoin d’émotions qui demandait à la poésie de nous donner une plus saisissante et plus vive perception du beau, demandait non moins impérieusement à l’histoire une plus franche et plus sensible manifestation du vrai. Alors aussi Walter Scott dans Waverley et dans Ivanhoe, et, long-temps avant, un écrivain qu’on trouve toujours sur le seuil des grandes idées de notre siècle, M. de Châteaubriand, par les Martyrs, avaient ajouté l’autorité de leurs exemples à l’impulsion déjà si puissante qui provenait de la disposition des esprits.

La réforme historique a donc eu les mêmes causes et s’est déclarée dans les mêmes circonstances que la réforme poétique. L’une et l’autre, en effet, tendaient à un but analogue. Il s’agissait de rendre le mouvement et la vie au drame et à l’histoire, d’en finir avec l’uniformité traditionnelle et les types de convention, de revenir à la poésie par l’observation des faits, l’étude des hommes, la peinture intelligente et nuancée des lieux, des temps et des mœurs.

Mais, quoique semblable à plusieurs égards, la tâche de l’école historique était bien plus sûrement réalisable que celle de l’école poétique. Sans doute, il n’est pas plus donné à l’homme d’arriver à la complète expression du vrai qu’à la complète réalisation du beau ;