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LE CAPITAINE GUEUX.

l’un que pour l’autre capitaine, car à cette époque on ne connaissait pas trop les sympathies de la Hollande, comprise dans le système du blocus continental et recevant pourtant de toutes mains les marchandises anglaises.

— Quel est celui de nous qui est prisonnier de l’autre ? demandèrent les deux audacieux capitaines en touchant le vaisseau hollandais.

— Vous n’êtes prisonniers de personne, leur fut-il répondu : Napoléon a cessé de régner, La France a signé une paix perpétuelle avec l’Angleterre.

— En voilà une, dit le capitaine Grenouille, à laquelle j’étais loin de m’attendre.

— Entendez-vous ! dit le capitaine Gueux, une paix perpétuelle ! Votre main ?

— Perpétuelle ! dit Grenouille en retirant la main… j’attendrai.

On les débarqua tous les deux à Dunkerque.

Un an après, le capitaine Gueux envoyait au capitaine Grenouille, au nom de la société des naufrages de Londres, une médaille d’or sur laquelle était gravé ceci :

Donnée au capitaine français Grenouille pour avoir sauvé dans sa chaloupe, malgré la guerre, le capitaine anglais surnommé le capitaine Gueux.

Et de l’autre côté de la médaille, on lisait :

Donnée au capitaine anglais Gueux pour avoir, malgré la guerre, épargné la vie du capitaine français Grenouille.

Au cordon de la médaille, on lisait encore :

Amitié éternelle entre ces deux hommes comme entre leurs deux nations.

Le capitaine Grenouille est vieux, mais il a trois enfans au service de la marine. L’histoire pourrait bien ne pas être finie.


Léon Gozlan.