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dispose pas de moyens très-puissans, chacun le sait ; la flamme et l’inspiration des grandes cantatrices lui manquent, et, quoi qu’elle fasse, le maître et le calcul ont toujours passé par là. Mais, au moins, chez cette virtuose, jamais rien d’incorrect ne vous heurte, et quand vous la voyez s’engager dans un pas, si difficile qu’il semble, vous êtes sûr qu’elle en sortira, sinon avec gloire, du moins sans encombre. Je n’en veux d’autre preuve que cette scène de la Lucia qu’elle a dite avec conscience, application et bonne foi. C’était mieux que Mme Thillon, c’était convenable. Et si l’on excepte les gammes chromatiques de la fin, où l’intonation et la mesure l’ont tout à coup trahie, Mme Dorus n’a failli devant aucun trait ; encore est-ce plutôt à l’orchestre que les reproches doivent s’adresser. Mme Dorus combine avec tant de soins tous ses effets, il y a dans le mécanisme de sa voix tant de précision ponctuelle et d’économie, que, lorsqu’un accident survient, c’est toujours à quelque circonstance extérieure qu’il faut l’imputer. À quoi pensait donc l’orchestre, qu’il a fallu par deux fois que la cantatrice se mît à lui battre la mesure des pieds et des mains pour le remettre dans le mouvement ? M. Habeneck ne dirigeait point ce soir-là, et jamais absence ne fut plus vivement regrettée. On s’attendait certes de toutes parts à voir ce défi porté aux illustres virtuoses italiens, cette incartade de peu de goût tourner au détriment des chanteurs de l’Opéra ; mais qui se fut avisé de croire que l’orchestre et les chœurs fléchiraient, eux aussi, dans une lutte semblable ? Nous n’en dirons pas davantage sur l’orchestre, dont il faut sans doute attribuer les égaremens à l’indisposition du chef expérimenté qui le gouverne d’ordinaire ; mais comment ne pas s’élever contre la manière déplorable dont les chœurs ont été exécutés ? et cependant nous ne pensons pas que personne ait envie de se récrier sur la difficulté des chœurs de Donizetti. Nous ne voyons là qu’un symptôme de plus de la décadence où s’en va l’Opéra de jour en jour. Il fut un temps où les chœurs étaient une des gloires de l’Académie-royale de Musique, un temps de richesse et de magnificence où le directeur, pénétré de la grandeur de notre première scène lyrique, ne reculait devant aucun sacrifice pour rendre cette partie de l’exécution capable de satisfaire les exigences les plus hautes. Alors Dérivis, Wartel, Alizard, Massol, Ferdinand Prévost, ne dédaignaient pas de se mêler aux ensembles ; alors, pour transformer en simples choristes des chanteurs ayant presque tous droit à des feux, on payait à prix d’or le finale de Don Juan. Hélas ! que sont devenus ces temps ? La confusion et la désuétude règnent partout aujourd’hui. Ce n’est plus le personnel qui alimente les chœurs, mais les chœurs qui se dédoublent pour fournir des sujets à la troupe. M. Ferdinand Prévost crée des rôles, M. Massol ténorise sur le premier plan ni plus ni moins que Barroilhet ; Wartel, découragé, se voue à Schubert, qu’il interprète comme on ne l’a plus fait depuis Nourrit, et les chœurs, dépossédés des chefs vaillans qui les menaient au succès, les chœurs se traînent misérablement dans la dissonance et la ruine.

Duprez chante la dernière scène de la Lucia avec cette largeur de style, ce pathos éloquent qu’il met dans tout ce qu’il récite. Dans l’adagio, il est admi-