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droit à plus de respect. Ximenès alors changea de ton ; de flatteur et de caressant, il devint impérieux et oppresseur. Les mesures les plus violentes furent prises pour étouffer les plaintes. Un des chefs de l’opposition était un noble Maure, nommé Zegri, qui avait lutté pendant la guerre avec Gonzalve de Cordoue, et qui était devenu le frère d’armes du grand capitaine. Ximenès le fit enlever et le livra à un de ses officiers qu’il appelait son lion, et qui était en effet, dit un historien, lion par le caractère aussi bien que par le nom. Le lion retint Zegri en prison, et lui fit subir de tels traitemens, qu’au bout de quelques jours le Maure implora la clémence de l’archevêque. Ximenès lui fit donner alors un appartement magnifique, et fit tant par menaces et par promesses, qu’il le décida à recevoir le baptême. Ce succès fatal fut un encouragement pour la conduite mêlée de ruse et de force que Ximenès avait adoptée.

Un jour il fit élever un grand bûcher sur la place de Grenade et y fit brûler environ cinq mille copies de l’Alcoran et d’autres livres religieux des Maures, que les nouveaux chrétiens avaient remis entre ses mains. La plupart de ces livres étaient remarquables par la beauté de l’écriture et la richesse des ornemens dont ils étaient couverts. Ximenès n’en garda qu’un seul, qu’il fit transporter dans la bibliothèque de l’université de d’Alcala. Le reste fut consumé. Cet acte de fanatisme poussa à son comble la colère des Maures. Deux des domestiques de Ximenès furent arrêtés dans l’Albayzin par la populace ; l’un d’eux fut tué, l’autre eut beaucoup de peine à se sauver. Une fois soulevée, la multitude de l’Albayzin appela à son secours le reste de la ville, et en moins de deux heures il y eut plus de cent mille hommes sous les armes.

Ximenès était dans son palais, avec ses domestiques pour uniques défenseurs. La nuit survint avant qu’il eût le temps de se réfugier dans l’Alhambra, qui était la forteresse de Grenade. Les révoltés investirent sa maison avec des cris de mort. Dans ce péril imminent, il montra le plus grand courage. Soit par véritable dévouement, soit par calcul d’intérêt, le Maure Zegri, que l’archevêque avait converti récemment par des moyens si étranges, entra dans le palais par une porte secrète, et lui offrit de le mettre en sûreté, s’il consentait à sortir seul et déguisé. Ximenès refusa et répondit qu’il était prêt à recevoir la couronne du martyre. Cependant la résistance de ses gens tenait en échec les assaillans. Le comte de Tendilla eut le temps d’accourir avec quelques hommes. De son côté, Zegri monta à cheval, et, se montrant aux séditieux, leur représenta avec force que, s’ils