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FRANKLIN.

Telle était la faiblesse de ce gouvernement moins coupable que frivole, que, deux jours après, le même comte de Vergennes écrivait M. de La Luzerne :

« Vous savez quelle demande pécuniaire le congrès adresse à sa majesté. On veut un emprunt de vingt millions. Cette somme dépasse considérablement nos facultés actuelles ; néanmoins sa majesté, voulant donner aux États-Unis une nouvelle preuve de son sincère désir de leur être utile, a décidé qu’il leur serait avancé six millions de livres pour l’année 1783.

« Le docteur Franklin est chargé d’en transmettre une partie à M. Morris. Je ne puis vous dissimuler que cet effort nous pèse considérablement, surtout après une guerre de cinq ans dont les dépenses ont été et sont encore énormes. »

On était alors à la veille de la banqueroute, sur le bord du déficit qui devait absorber la monarchie et la détruire ; et le trône, déjà si chancelant, jetait ses millions à la jeune république qui l’avait joué. Ce vertige auquel la France a été en proie pendant toute la fin du XVIIIe siècle, cette ivresse singulière, succédant à l’orgie de la régence, n’ont pas de preuves plus curieuses que la correspondance inédite que nous venons de citer. Tout le monde gagnait à cette affaire, excepté la France ; l’Angleterre était délivrée d’une colonie embarrassante, elle gardait le Canada et la Nouvelle-Écosse, elle était libre de porter sur tous les points son activité commerciale quelques années encore, elle n’aurait su que faire de l’Amérique septentrionale, sa gigantesque fille. Refoulée sur elle-même, la métropole anglaise concentra ses forces, oublia cette colonie qu’elle croyait ingrate et qui n’était qu’émancipée, et reconnut qu’elle avait fait un bénéfice en croyant faire une perte. Quant à la France, elle n’y gagna rien que des millions de moins et cette fièvre d’imitation qui détourna la révolution française de ses voies naturelles.

Non-seulement Franklin savait quel était le résultat futur de cette inoculation républicaine que la monarchie imprudente opérait sur elle-même, mais il n’oublia rien pour la propager et l’aider. Il obtint du comte de Vergennes la permission de faire traduire sous ses yeux et imprimer à Paris la constitution nouvelle, contenant la déclaration des droits de l’homme. Ce fut le duc de La Rochefoucauld qui se chargea de la direction de l’œuvre, le comte de Vergennes laissa libre carrière à sa cirulation à travers tous les rangs de la société française. Ainsi, cette monarchie, fatalement condamnée, courait de toutes les façons à sa perte, tandis que la jeune république,