Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/753

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
749
LES ESCLAVES DANS LES COLONIES ESPAGNOLES.

seule pu dompter les préjugés de l’orgueil nobiliaire. L’Espagnol, profondément et sincèrement attaché à sa croyance, a subi cette influence dans ses lois comme dans ses mœurs, et c’est à l’application des préceptes d’humanité, de charité et de fraternité imposés par l’Évangile, que l’esclave doit ici la plupart des bienfaits qu’on lui accorde. Livrée à sa propre force, la philosophie a produit des actions héroïques, et fécondé des vertus éclatantes ; elle n’est jamais parvenue à abaisser l’orgueil, et à faire éclore l’humilité ; cet effort sublime était réservé au puissant levier du sentiment religieux.

Le mot esclavage ou servitude ne saurait avoir ici le même sens que dans les codes romains, où cette qualification équivalait à l’exclusion de tout droit civil, où l’esclave était un homme sans état, c’est-à-dire sans patrie et sans famille. Cette acception, bien que modifiée plus tard par les coutumes féodales, a toujours réduit à un état misérable les esclaves ou serfs, soit dans leurs rapports avec leurs maîtres ou seigneurs, soit dans leurs relations avec tout homme libre. À Cuba, grace à de bonnes lois et à la douceur des mœurs, l’esclave ne porte pas ce stigmate de réprobation, et il serait aussi injuste que faux de le confondre non-seulement avec l’esclave romain, mais même avec le vassal des temps féodaux. Par un rescrit royal (real cedula) du 31 mai 1789, le maître est obligé non-seulement de nourrir et de bien traiter son esclave, mais encore de lui donner une certaine instruction primaire, de le soigner s’il devient vieux ou infirme, et d’entretenir sa femme et ses enfans, quand même ces derniers seraient devenus libres. L’esclave ne doit être soumis qu’à un travail modéré, et seulement de sol a sol, c’est-à-dire pendant le jour, et à condition qu’il aura, dans le courant de la journée, deux heures de repos. Si l’un de ces points cesse d’être observé, l’esclave a le droit de présenter sa plainte devant le syndic procureur ou protecteur des esclaves, désigné par la loi comme son avocat ; la plainte étant fondée, le syndic peut obliger le maître à vendre l’esclave, et l’esclave a le droit de se chercher un maître ailleurs ; si enfin l’intérêt ou la vengeance portent le maître à demander un trop haut prix, le syndic procureur fait nommer deux experts qui estiment l’esclave à sa juste valeur. Si la plainte n’est pas fondée, il est rendu à son maître. Il est défendu d’infliger des peines corporelles aux esclaves, à moins de fautes graves, et même, dans ce cas, le châtiment est borné par la loi. Cette cruelle condition nous révolte, elle est pourtant d’une impérieuse nécessité, le nègre étant accoutumé à cette rigueur dès sa naissance en Afrique ; soit habitude, soit qu’il ne sente pas le poids moral de cette igno-