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LES ESCLAVES DANS LES COLONIES ESPAGNOLES.

ment de ces exemples, une foule d’Européens et d’Américains du Nord vivent parmi nous, appelés par le commerce et l’appât des richesses. Beaucoup habitent la Havane, même pendant toute l’année. Les étrangers peuvent donc sans crainte venir cultiver nos campagnes vierges, qui leur offrent des trésors inappréciables et non exploités. La douceur du colon de Cuba pour son esclave inspire à ce dernier un sentiment de respect qui approche du culte. Ce dévouement de l’esclave est sans bornes ; il assassinerait l’ennemi de son maître, dans la rue, en plein jour, aux yeux de tous ; il périrait pour lui sous la torture sans sourciller. Le maître est pour l’esclave la patrie et la famille ; l’esclave porte le nom du maître, reçoit ses enfans quand ils viennent au monde, les nourrit de son lait, les sert avec adoration dès leur plus tendre enfance, et, lorsque la maladie arrive, veille son maître nuit et jour, lui ferme les yeux à sa mort, puis se traîne par terre, pousse d’affreux hurlemens, et, dans son désespoir, se déchire la peau de ses ongles. Mais, si quelque âpre ressentiment s’éveille dans son ame, la férocité du sauvage reparaît ; il est ardent dans sa haine comme dans son amour. Sa fureur vengeresse n’a presque jamais pour objet son maître. Lorsqu’une révolte n’est pas provoquée par les étrangers, ce qui est rare, c’est l’irritation contre le mayoral qui l’excite.

Voici un fait qui prouve la puissance morale du maître sur l’esprit de ces sauvages. Peu de mois avant mon arrivée, les nègres de la sucrerie d’un de mes cousins, don Raphaël, se révoltèrent ; c’était un nouvel établissement. Les esclaves, récemment arrivés d’Afrique, étaient presque tous de nation Couloumie[1], c’est-à-dire, assez bons travailleurs, mais violens, irascibles, et prêts à se pendre à la moindre contrariété. Cinq heures du matin venaient de sonner, le jour commençait à paraître ; Raphaël était parti depuis une demi-heure pour une autre de ses propriétés, et laissait, encore livrés au sommeil, ses quatre enfans et sa femme grosse. Tout à coup Pepyia (c’est le nom de cette dernière) s’éveille en sursaut, au bruit d’horribles vociférations accompagnées de pas précipités. Effrayée, elle sort de son lit, et, ouvrant le vasistas, aperçoit tous les nègres de la sucrerie qui se dirigeaient en désordre vers son habitation. Bientôt ses enfans arrivent, pleurent, s’attachent à elle, et poussent des cris. Elle n’avait que des esclaves à son service, et croit sa perte certaine. Mais à peine avait-elle eu le temps de recueillir ses idées, qu’une de

  1. Couloumie, tribu d’Afrique.