Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/847

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
843
RÉCEPTION DE M. VICTOR HUGO.

mentales de l’art, ne se sentant pas provoqué par la présence d’un toréador trop irritant, s’est trouvé heureux de pouvoir parcourir paisiblement l’arène. De plus, sachant qu’il allait avoir pour introducteur dans l’Académie un ancien ministre, et apercevant près de lui, parmi ses nouveaux confrères, M. Guizot, M. Molé, M. Thiers, M. Royer-Collard, M. Villemain, M. Cousin, M. Dupin, sans compter les autres notabilités absentes pour le service du roi, il a pu croire obéir à une haute convenance en empruntant le langage et les idées de la politique, et en réservant la littérature pour un lieu et pour un moment plus opportuns.

Mais parlons plus sérieusement. Pour que M. Victor Hugo ait cru devoir se séparer, dans une occasion si solennelle, de la poésie, qui a fait sa gloire, il a eu sans doute des raisons graves et puissantes. Quelles sont-elles ? Des personnes qu’on ne peut pas soupçonner de malveillance nous ont donné de ce grand mystère une explication confidentielle par la voie des feuilletons. Transfuge de la poésie, nous dit-on, M. Victor Hugo passe à la politique. La harangue qu’il vient de prononcer marque une phase nouvelle dans sa vie et dans son talent ; il a assez pensé, assez écrit ; il veut agir : l’action le réclame. Ce discours, où il avait à louer un poète, et où il évoque tous les souvenirs politiques d’un demi-siècle ; ce discours, où l’on attendait une profession de foi littéraire, et où il est à peine question de littérature, c’est une abdication solennelle de son passé, c’est un premier pas vers la tribune, une candidature à l’une de nos chambres, peut-être à toutes les deux ; mieux encore, un programme de ministère. — Vous souriez ; mais que signifierait donc cette mystérieuse apparition de Malesherbes à la fin de cette harangue, cette apparition qui ne tient à rien, cette ombre, en quelque sorte, qui passe au fond du discours, comme la litière du cardinal de Richelieu traverse la scène à la fin de Marion de Lorme, pour jeter aux spectateurs le mot du drame ? Ici, vous le voyez bien, le mot est pairie et ministère.

Je me garderai bien, en vérité, de nier d’une manière trop absolue cette explication, qui a du moins le mérite de donner un sens plausible à des choses qui resteraient inexpliquées sans elle. Mais, en consentant à me placer au point de vue qu’on nous indique, et en admettant que l’illustre écrivain ait, en effet, les intentions ultérieures qu’on lui prête, je ne puis supposer que M. Victor Hugo ait une si faible opinion de la position que les lettres lui ont faite, qu’il ait cru avoir besoin de prononcer quelques phrases sur la convention nationale et l’empire, sur les frontières naturelles de la France