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LETTRES SUR L’ÉGYPTE.

que j’ai rencontrés, des fatigues que j’ai souffertes, et vous pourrez vous faire une idée juste de l’état d’anarchie où l’intérieur de l’Égypte est à présent tombé.

Arrivé à Edfou, l’ancienne Apollon opolis magna, j’ai voulu poursuivre ma route jusqu’à Syène et l’île de Philæ (première cataracte), que j’avais le plus grand désir de revoir, en souvenir de mon premier voyage avec Champollion. Après avoir recueilli dans ces lieux et sur divers points du trajet des dessins et des notes, je suis redescendu à Edfou. Alors ont commencé mes négociations avec les Arabes et un cheik Ababdeh, qui devaient me fournir des chameaux et me conduire aux mines d’émeraudes. Mais j’ai trouvé des gens d’une cupidité révoltante ; il y avait des contradictions évidentes dans les renseignemens qu’ils me donnaient sur la route et sur la durée du voyage ; enfin, tout trahissait en eux le projet de me rançonner le plus possible. Comme d’ailleurs il n’y avait pas à Edfou d’autorité turque pour me soutenir dans le débat et me protéger au besoin, je conçus d’abord des inquiétudes ; puis, le jour du départ venu, voyant qu’après avoir exigé d’avance la paie de cinq chameaux (pour six journées), ils n’en amenaient que deux, je me déterminai, quoiqu’à regret, à renoncer à ce voyage ; je parvins à me faire rendre l’argent avancé, circonstance qu’il faut regarder comme un miracle, et je retournai à Thèbes, de là à Qenéh, d’où je me disposai à partir pour Qosseyr, sur la mer Rouge.

Ce n’est pas une petite affaire que le voyage du désert à entreprendre lorsqu’on se trouve en quelque sorte abandonné à ses propres forces et privé de ces précieux auxiliaires, cavas, drogmans, factotum, domestiques entendus, gens très voleurs, il est vrai, mais zélés par la même raison, et qui vous épargnent du temps, des fatigues, et surtout l’ennui de voir tout par soi-même. Pour un voyage au désert, il faut d’abord se procurer, et long-temps à l’avance, pour qu’elles soient éprouvées, des outres en peau de bouc. Je m’en étais

    M. L’Hôte, plein de zèle et de dévouement à la science, et ne pouvant se consoler d’une perte qui lui enlevait les plus beaux fruits de son voyage, demanda, malgré l’affaiblissement de sa santé, et obtint de M. Villemain la faculté de retourner sur les bords du Nil pour reprendre tout ce qu’il avait perdu.

    Cette seconde mission, il l’a remplie avec un succès dont les rapports qu’il a envoyés à M. le ministre de l’instruction publique (insérés au Moniteur le 24 et le 25 juin dernier) donnent une idée complète. Il est parvenu à reprendre toutes les empreintes, il en a même augmenté le nombre, et il a fait en outre des excursions dans le Delta, dans le Faïoum, à Qosseyr, aux mines d’émeraudes, et il se propose, avant de revenir, de visiter les carrières d’albâtre et les oasis.