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REVUE. — CHRONIQUE.

Imaginerait-on pour les Candiotes une sorte d’hospodorat sous la protection de je ne sais quelle puissance, de l’Angleterre, de la Russie ? Est-ce la France qui pourrait consentir à pareil arrangement ? Et à supposer que la France pût oublier à ce point ses intérêts et sa dignité, est-ce là ce qu’il faut désirer pour les Grecs ? Nous préférerions un pacha turc à un proconsul anglais, à un hospodar que la Russie tirerait du Phanar. La tyrannie du premier serait plus facile à contenir ; il serait aussi plus facile un jour de l’expulser.

Bref, dans ce moment, on ne pourrait rien espérer d’honorable et de décisif pour ces populations. Elles n’ont pas encore acquis des titres suffisans, aux yeux de la politique du moins, pour aspirer soit à l’indépendance, soit à l’incorporation dans le royaume de Grèce. Il faut d’autres épreuves, une plus longue résistance ; il faut que les faits qui ne sont jusqu’ici que partiels, isolés, puissent se lier, se coordonner, s’unir dans une cause commune ; il faut que le cri de l’humanité retentisse dans l’Europe entière, que l’opinion publique, profondément émue, se lève dans toute sa puissance et impose silence aux sarcasmes de la politique et aux clameurs des intérêts matériels. C’est aux particuliers, aux hommes intelligens, riches, habiles de toutes les opinions, de tous les pays, qu’il appartient, à cette heure, de venir en aide à la cause de l’humanité et de la religion. Le rôle des gouvernemens commencera plus tard. Les gouvernemens ne doivent pas toujours précéder l’opinion ; s’ils doivent souvent essayer de l’éclairer et de la diriger, ils doivent aussi plus d’une fois l’attendre et la suivre.

L’état incertain et périlleux de l’Orient doit influer sur les négociations entamées à Londres à l’effet de faire rentrer la France dans le concert européen. Nous le reconnaissons, l’affaire égyptienne étant terminée, et le pacha ayant solennellement accepté les concessions de la Porte, la France jouerait le rôle de don Quichotte, si elle se préoccupait plus que le pacha lui-même des intérêts de Méhémet-Ali. La France n’a plus aujourd’hui à s’occuper que de ses propres intérêts et de tout ce qui peut toucher à l’équilibre européen, et cela en présence des faits nouveaux qui se sont montrés en Orient, et qui pourraient d’un instant à l’autre y prendre un développement inattendu.

Une crise venant à éclater en Orient, nous ne pourrions y rester étrangers sans abaisser notre pays au-delà de ce que pourraient supporter les esprits les plus humbles. Dès-lors deux voies nous sont ouvertes : l’action isolée ou le concert européen. L’alliance particulière de la France avec telles ou telles puissances, c’est probablement la solution que la question recevra un jour, du cours des évènemens, par la force des choses. Mais, dans ce moment, ce serait un rêve que d’y penser. Aujourd’hui, en repoussant le concert européen, la France demeurerait isolée ; elle garderait la position qu’elle a prise, qu’elle a eu raison de prendre et de garder jusqu’ici. La question est donc de savoir si elle doit la garder encore, l’Orient étant devenu le théâtre de luttes nouvelles et qui intéressent éminemment les populations chrétiennes, ces populations que la France a toujours protégées.

Si la lutte, comme nous le disions et comme nous aimons à l’espérer, se prolongeait, si le sang de nouveaux martyrs de la civilisation et du christia-