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REVUE. — CHRONIQUE.

tervention de la France. Ajoutez que les populations chrétiennes de l’Orient sont accoutumées depuis des siècles à compter sur la protection française. Il y a là des traditions qui remontent aux croisades.

Qu’arrivera-t-il si ces populations apprennent que la France demeure isolée, que les mouvemens de la Bulgarie, de la Thessalie, de l’île de Candie, de la Syrie, ne l’ont pas déterminée à prendre part aux décisions de l’Europe, à faire entendre de nouveau sa voix dans ces conférences où, à tort ou à raison, on décide aujourd’hui de la destinée des peuples qui ne peuvent pas seuls braver le monde entier ? Croiront-elles, ces populations, que la France, bien qu’isolée, écoutera leurs plaintes et interposera au besoin son épée entre le bourreau et la victime ? Ou bien ne penseront-elles pas que l’isolement n’est autre chose qu’une complète inaction, qu’un abandon fait aux autres puissances de la question orientale et de l’avenir des populations chrétiennes, courbées sous le cimeterre des Osmanlis ?

C’est cette seconde pensée, nous le craignons fort, qui seule s’emparerait de l’esprit des Orientaux et des Grecs. Ils croiraient entendre le canon de Beyrouth retentir de nouveau à leurs oreilles, le canon des Anglais, des marchands de Parga. Ils finiraient par croire que l’Orient est désormais un fief de l’Angleterre et de la Russie, que c’est à ces maîtres qu’il faut complaire, si mieux on n’aime se résigner au despotisme brutal d’un pacha. Ils sentiraient faillir leur courage, ou bien leur courage viendrait en aide aux vues ambitieuses de l’une ou de l’autre puissance. Ils ne pourraient que rester ce qu’ils sont, ou opter entre la servitude des Sept-Îles et celle de la Valachie.

En résumé, la politique que nous préférons est celle qui n’enlèverait pas aux populations chrétiennes de l’Orient toute espérance d’une intervention amicale et puissante, celle qui, en présence des évènemens qui viennent d’éclater et qui peuvent grossir d’un instant à l’autre, ne donnera pas à la France une attitude politique toute passive et de résignation. Si nous savons être actifs, vigilans, fermes toujours, fiers au besoin, même dans l’isolement, qu’on y persiste ; si c’est un rôle plein de périls, il est aussi plein de grandeur, et la France peut le jouer avec dignité, avec succès. Elle l’a prouvé à l’Europe plus d’une fois, et si elle a eu ses revers, elle ne les a dus qu’à l’excès de sa hardiesse. Il lui eût suffi pour réussir de modérer son élan. Si l’isolement devait au contraire nous rendre inactifs, le moment d’en sortir est arrivé, car l’Orient peut exiger l’intervention de l’Europe, si ce n’est immédiatement, à une époque plus ou moins rapprochée, et nous ne pourrions pas permettre que l’Europe intervînt sans la France. Il ne s’agirait plus alors d’arranger une querelle entre le sultan et le pacha ; il s’agirait de l’avenir de l’empire ottoman et des populations chrétiennes.

Si l’Orient s’agite, l’Occident n’est pas non plus plongé dans un profond sommeil. Les pensées constitutionnelles ne sont pas mortes en Allemagne ; elles viennent de donner signe de vie en Prusse et dans le Hanovre. Laissons le Hanovre, où un prince anglais accomplit comme roi la carrière qu’il avait commencée en Angleterre comme membre fanatique de la haute aristocratie. Le fait de la Prusse est bien autrement remarquable. Certes, et nous en féli-