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élémens qui formaient la nation commencent à se disjoindre et à se dégrader. Les maux actuels, la démoralisation des hautes classes doivent être attribués aussi à une cause tellement mesquine, qu’on a peine à l’accuser de si désastreux effets : je veux dire la création de places de cour de rangs différens, qui furent une source perpétuelle de mépris et d’envie. Elles mirent en rivalité deux portions de la société qu’on vit s’user et se rapetisser dans des querelles obscures et puériles. Enfin l’influence de la dynastie de Bragance sur l’aristocratie en Portugal pourrait se comparer aux effets produits en France par l’avénement de la maison de Bourbon, si en France, pendant que les derniers remparts de la féodalité tombaient, une classe ne s’était élevée, riche, instruite, prête à saisir le pouvoir, et à l’exercer suivant les instincts de la nation. Là, au contraire, il ne se produisit que des prétentions ; rien d’actif, rien de fort ; tous les buts sérieux de la société furent négligés et dédaignés. Le désœuvrement social, voilà ce que l’esprit d’égalité moderne a donné au Portugal. Une noblesse de second ordre s’agite pour s’élever aux dignités et atteindre aux faveurs de la première. Les fonctions du gouvernement sont méprisées : on ne recherche que l’influence de cour, seule elle passionne, seule elle excite l’envie, défaut capital de la nation ; mais dans les anciens temps on se proposait un but si glorieux, qu’il était permis peut-être d’y tendre avec trop d’avidité, et ce vice avait quelque chose de moins bas quand il s’agissait de la conquête et du gouvernement des Indes. Si beaucoup de grands hommes ont cruellement expié leurs hauts faits, si le dominateur des mers de l’Inde, l’illustre Pacheco, a langui dans les fers, au moins, à défaut du bonheur, le destin lui donnait la gloire, comme dit Camoëns de don Pedro Mascarenhas. Le peuple n’avait aucune connaissance de cette sourde révolution et de l’affaissement graduel des classes élevées. Il conservait ses souvenirs purs et intacts, il adorait ses rois, vénérait ses nobles, et demeurait calme et confiant, tandis que la société était ébranlée, non par la base, comme elle le fut en France, mais par le faîte, qui l’écrasa dans sa chute.

Le marquis de Pombal précipita la catastrophe et pesa sur la société portugaise de toute la puissance de son despotisme, de toute la force de sa supériorité.

L’administration de cet homme d’état a trouvé en France de nombreux admirateurs. Les philosophes, dans leur passion pour les idées nouvelles qu’il imposait à son pays, lui ont facilement pardonné d’avoir massacré des nobles, exilé des prêtres, et fait, au profit de la philosophie, un cruel usage de l’inquisition. En Portugal, les sentimens à son égard sont loin d’être unanimes, et le peuple a plus conservé le souvenir de ses échafauds que de son génie. En France, on donne une médiocre attention aux faits ; on juge les idées, et, suivant qu’on les approuve ou non, on admire ou on blâme la conduite. Les Portugais, au contraire, se soucient peu des maximes générales, ils ne les comprennent guère ; mais ils discernent et apprécient les sentimens avec un tact remarquable, et chez le marquis de Pombal, si le ministre était grand, l’homme fut bien petit. « Quels étaient les mobiles de ses actions disent ses ennemis ; la haine, l’envie,