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REVUE DES DEUX MONDES.

Pendant ce temps, l’armée française faisait des progrès en Espagne ; tous les jours la faction absolutiste grossissait à Lisbonne, et le parti des cortès se disloquait de plus en plus. Le roi craignait tout le monde et toutes choses, et, redoutant le vainqueur, quel qu’il fût, restait plongé dans une complète inertie. Il est certain que beaucoup des malheurs qui accablèrent le Portugal et qui amenèrent tant de guerres civiles doivent être attribués à la faiblesse et au pusillanime égoïsme de Jean VI. Cependant, si l’on se rappelle ses souffrances et ses longues infortunes privées, on ne peut se défendre d’une certaine sympathie pour ce prince, qui fut malheureux comme roi, comme fils, comme père, comme époux, et qui, à la fin de sa triste existence, eut à trembler pour sa vie au milieu de sa famille. On lui sait même gré de cette banale bonté qui ne va pas jusqu’à faire le bien. Le peuple, qui méprisait son gouvernement, adorait sa personne. Une fois par semaine, suivant l’ancien usage, il donnait une audience publique qui durait jusqu’à la nuit ; tout le monde pouvait venir le solliciter, et les gens des dernières classes allaient en foule causer avec le roi de leurs affaires privées. Mais cette bienveillance générale ne lui donnait aucun appui, et personne ne se compromettait pour un prince qui ne savait qu’obéir à la terreur présente.

La crise que tout annonçait depuis long-temps éclata le 27 mai. Au point du jour, un régiment d’infanterie quitta Lisbonne, et, à peine sorti des portes de la ville, proclama le roi absolu. Le commandant vicomte de Santa-Martha présenta aux soldats l’infant don Miguel, qui, à l’instigation de sa mère, s’était échappé pendant la nuit du palais de Bemposta ; la colonne insurrectionnelle se grossit peu à peu de milices, de soldats, d’hommes de toutes les conditions et presque de tous les partis ; enfin ses chefs se crurent assez forts pour s’arrêter à Santarem, où les personnages les plus importans de Lisbonne ne tardèrent pas à les joindre.

Les cortès, à la nouvelle de ce soulèvement, confièrent des pouvoirs extraordinaires au général Sepulveda, chef militaire de l’insurrection de Porto ; dès le lendemain, on connut de nombreuses défections, le général Sepulveda devint suspect, et M. Jorge Davilèz[1] fut nommé commandant des troupes. Presque tous les fonctionnaires publics désertaient leur poste, d’autant plus empressés de se joindre à l’infant, qu’ils s’étaient plus compromis dans le parti contraire. Les cortès s’abandonnaient elles-mêmes ; la contre-révolution devenait inévitable, une réaction sanglante était imminente, et le roi, presque seul, entouré de bien peu d’amis, pouvait en être la victime.

Ce fut alors que le marquis de Loule, auquel son dévouement coûta plus tard la vie, pressa le monarque délaissé par ses troupes, qu’entraînait loin de sa personne un zèle royaliste, de courir après ces déserteurs trop fidèles, et, en se mettant à la tête de l’insurrection, de la modérer et de détourner une partie de ses effets. Jean VI, qui ne demandait qu’à trembler en repos, sentait son cœur défaillir ; le serment qu’il avait prêté à la constitution le retenait

  1. Vicomte de Reguengo.