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LE PORTUGAL.

amusemens journaliers. Là se groupaient autour de lui quelques nobles qu’attiraient des goûts semblables, des pasteurs et des campagnards qui admiraient son adresse à tous les exercices du corps, et surtout à ce jeu favori. Ceux qu’on appelait les gens de monsieur l’infant n’étaient, à vrai dire, d’aucun parti, si ce n’est de celui des taureaux ; leurs cœurs, endurcis par ces plaisirs féroces, restaient étrangers à la vie civilisée, et, n’estimant que le suffrage de leurs grossiers compagnons, indifférens au bien et au mal, ils étaient prêts à tout entreprendre.

Après la chute des cortès, les partisans de la reine restèrent long-temps armés ; le duc de Cadaval entra dans Lisbonne, suivi de nombreux pasteurs des bords du Tage, que les longs bâtons ferrés avec lesquels ils gardent les taureaux rendaient redoutables ; le marquis d’Abrantes avait ramassé tous les paysans de ses terres. Les chefs apostoliques ne se méprirent pas sur le coup qui les avait frappés ; ils tentèrent d’exciter les passions de la tourbe fanatique, et, malgré les ordres du roi, l’armée royaliste du marquis de Chaves entra menaçante dans Lisbonne. Néanmoins, la douceur de Jean VI, l’amour du peuple pour le roi et le sang-froid des ministres préservèrent le Portugal des sanglantes réactions qui désolaient l’Espagne, et, quoique le monarque n’eût pas osé accomplir ses promesses constitutionnelles, le parti des modérés paraissait gagner dans son cœur ; mais rien n’était difficile et dangereux comme la position de ses chefs. Libéraux, ils gouvernaient au nom du roi absolu après une victoire soustraite aux apostoliques ; ces derniers étaient leurs ennemis réels, et les modérés avaient pour mission de poursuivre les affiliés maçonniques. L’infant, commandant en chef de l’armée, disposait de toutes les forces, et les ministres ne pouvaient, sans paraître pactiser avec les francs-maçons, arrêter les complots des apostoliques, ni accuser la reine et l’infant, qui venaient de rendre au monarque l’intégralité de sa puissance. Le parti apostolique était cependant avide de vengeance, il ne supportait pas la modération du gouvernement qui était à chaque instant mis en demeure ou de lui céder, ou de lui résister, et ne pouvait faire un mouvement, dans quelque sens que ce fût, sans se compromettre ou sans s’affaiblir, et sans donner des armes à ses ennemis. Un mot du roi eût conjuré le danger, mais il était impossible d’obtenir qu’il se déclarât, ou même de lui montrer l’imminence du péril. Si on lui disait peu, il n’agissait pas ; si on le prévenait de tout, la crainte le jetait dans les bras de ses ennemis. Il fallut donc attendre que ceux-ci se dévoilassent eux-mêmes par l’exécution ouverte de leur complot, et apprissent au peuple étonné que les ennemis du roi étaient la reine, l’infant et les apostoliques. L’assassinat du marquis de Loule, commis le 29 février, au palais de Salvaterra, couvrit le Portugal d’une sombre tristesse, et répandit dans toutes les ames de lugubres pressentimens. C’était ce loyal gentilhomme qui, par sa décision et son dévouement, avait surtout contribué à sauver le trône du roi à Villa-Franca. Il venait de soutenir par son crédit le ministère modéré et son ami M. de Subserra. Il était depuis longues années le confident chéri de Jean VI ;